Alban Bervas. La France rurale, commentaires de cartes. Nantes: Editions du Temps, 2003. 352 p. EUR 25.00 (paper), ISBN 978-2-84274-212-6.
Reviewed by Jean-François Joly
Published on H-Francais (September, 2003)
Professeur en classes préparatoires au Lycée de Corneille de Rouen, Alban Bervas nous propose dans cet ouvrage 38 corrigés de commentaire de cartes topographiques, exercice qui parsème les parcours universitaires en géographie au niveau des concours d'ENS et d'agronomie ainsi qu'aux concours d'enseignement (CAPES et Agrégation). Onze mises au point complètent les corrigés; l'introduction est en outre l'occasion de dégager six règles de base, conditions d'un travail efficace. Par contre les fiches de méthodes mentionnées en quatrième de couverture n'apparaissent pas en tant que telles.
L'auteur part du constant très réaliste que cette épreuve est biaisée : à savoir qu'il est préférable d'avoir déjà les connaissances sur la région pour extirper l'indice de la carte que d'aller à la pêche à l'aveugle ! C'est toute la limite de l'exercice qui est ici mise en avant : le dolmen qui permet de parler de l'ancienneté de l'occupation humaine, le silo symbole de céréaliculture sont parmi les indices précieux de cette chasse aux trésors pour géographes. D'ailleurs, A.Bervas en plusieurs fois utilise les termes d'étonnant ou au contraire de logique pour commenter la présence de tel ou tel indice; il en vient à noter comme des oublis de la carte des indices attendus !: (p. 41) « des châteaux-hôtels du type Relais et Châteaux mais cela ne se voit pas sur ce type de carte (Chinon, p. 195) pas de silo sur la carte de Clermont-Ferrand « ce qui est peut-être lié à la trop forte densité industrielle qui ne permet pas de tout indiquer sur la carte ». Il faut dire que cette épreuve est nettement connotée si l'on fait une approche épistémologique de notre matière et qu'elle apparaît pour certains comme un dernier bastion d'une géographie du passé. Le malaise de bon nombre d' ensei gnants face à la dernière épreuve de l'ENS de Lyon en est encore un récent témoignage.
Sur le fond, j'avoue donc une certaine gêne quant à la conception de la géographie sous-tendue, non pas par l'épreuve en elle-même (puisque sans illusions) mais par le traitement fait dans l'ouvrage; ainsi cette affirmation « vous devez.retrouver sur le support fourni les spécificités , particularités de telle et telle zone ou région » fleure bon la conception idiographique qui régnât sans partage dans notre matière jusque dans les années 70. la recherche des caractéristiques qui permette de typer un espace me paraît plus formatrice. De même le titre de l'ouvrage me pose problème : « la France rurale ». Il apparaît que la grande préoccupation de l'auteur est l'agriculture (les onze mises au points sont d'essence agricole ou géomorphologique); or le rural se confond de moins en moins avec l'agricole dans notre pays. Proposer sous ce titre les cartes de Dunkerque, Douai, Saint-Nazaire, Bayonne, Hyères me paraît dangereux pour les lecteurs et recèle une contradiction majeure: les 38 corrigés utilisent le même plan d'étude soit les différents milieux naturels, leur validation par les conditions géologiques, les activités primaires (agriculture et sylviculture dont l'importance est largement survalorisée dans les corrigés), les évolutions et la place de plus en plus grandes des autres activités. Or une des qualités requises est d'adapter le plan à la thématique dominante de la carte. La contradiction s'explique peut-être par le positionnement de l'auteur sur le concours de l'agro mais une telle démarche en particulier aux concours d'enseignement serait sévèrement sanctionnée.
D'ailleurs concernant les supports proposés, il aurait été possible d'amoindrir la caractère biaisé de l'épreuve (qui permet cependant de mettre en place de solides qualités d'analyse): fournir des documents complémentaires et jouer sur les échelles; or, contrairement à ce qui est indiqué en quatrième de couverture, la carte IGN n'est pas « souvent accompagnée de documents éclairants des aspects particuliers » (deux au total sur 38)! et le 1/50000° règne encore presque sans partage alors que le 1/25000° (trois cartes sur 38) permet des analyses moins aléatoires. Comment justifier de proposer un thème sur des évolutions importantes dans le Languedoc en n'offrant qu'une carte de Narbonne et non pas deux à des dates significatives ? Beaucoup de cartes choisies datent des années 1980 ce qui est un argument supplémentaire pour relativiser les analyses qui peuvent être produites à partir de ce seul document. L'IGN d'ailleurs s'assure plus la mise à jour des cartes au 1/50000°.
Le plan de l'ouvrage donne également l'impression d'un manque de rigueur : les six chapitres ne sont pas du même ordre: quatre sont des régions sans problématiques, l'un concerne l'agriculture du bassin parisien, le sixième est thématique = le vignoble. Les mises au points qui apporteront au lecteur d'utiles connaissances sont en nombre très inégal: pour trois cartes, la Bretagne en a trois alors que le Bassin parisien en a une et que les Pyrénées sont les seules montagnes à en être support. Une entrée thématique avec une mise au point préalable systématique aurait donner plus d'étoffe à l'ouvrage qui ne peut s'adresser qu'à des lecteurs ayant des bases acquises par ailleurs; on pense en particulier à l'ouvrage récent et très rigoureux de J.Tiffou « Commenter la carte topographique aux examens et concours » paru en 2000 aux éditions A.Colin. A noter l'absence de bibliographie alors que certains ouvrages citées le sont de manière incomplète (Derruau, les formes de relief terrestre en particulier).
Dans la forme de l'ouvrage également , plusieurs choses à redire : si les introductions de corrigé sont bien rédigées, l'auteur se laisse aller à quelques facilités de langage et clichés que l'on ne permet point aux étudiants : une zone frontière « chaude » (p. 33), une fonction dépotoir (p. 42), l'abus assez systématique des « mais », la falaise d'Eze, exemple emblématique qui devient « problématique » (p. 289), des équipements jugés curieux p35 « il faut que les agriculteurs tiennent bons, en espérant des améliorations rapides »p191 « Saint-Trop fait de plus en plus ringard (p. 292), les trois S (Sea, Sex, Sun) (p. 337).
Plusieurs éléments d'analyse apparaissent bien hâtifs, en particulier dans les conclusions concernant des espaces portuaires: dire que »Dunkerque semble repartir grâce aux bons résultats d'Usinor » semble conjoncturel et un peu court surtout que la présence des six réacteurs de Gravelines, l'installation de Péchiney ou de Coca-Cola sont passées sous-silence; les « synergies complexes au sein de l'Arc Atlantique » dont le dynamisme de Bayonne est symptomatique laissent perplexe tout comme dire que les activités croissantes de Saint-Nazaire ne doivent plus grand chose au fleuve (p. 177) ou que c'est la concurrence pour l'espace qui a éliminé les chantiers navals de la Seyne sur Mer ou de la Ciotat (p. 292). Présenter le tourisme vert pyrénéen exclusif de la mise en place d'un tourisme de masse qui pourrait soutenir de nouvelles activités porteuses est faire peu de cas des conditions très précises du modèle nord-alpin non transposables justement dans les Pyrénées.
En conclusion, cet ouvrage fournira aux étudiants, souvent fort dépourvus en matière de préparation dans de nombreuses universités, une très utile base de travail autonome. Cependant un travail moins hâtif aurait permis d'annuler plusieurs réserves énoncées. Celles-ci, ajouté au caractère très particulier de l'épreuve de référence, font que cet ouvrage apparaît en retrait par rapport aux précédents titres de cette collection « Questions de géographie » dont il faut saluer la qualité des contributions concernant les récents sujets de concours: très grandes villes, littoraux, espaces tels la Chine, l'Europe médiane, la Méditerranée: nous sommes alors de surcroît au cour des problématiques actuelles de notre discipline.
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Citation:
Jean-François Joly. Review of Bervas, Alban, La France rurale, commentaires de cartes.
H-Francais, H-Net Reviews.
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