William S. Logan. Hanoi: Biography of a City. Seattle: University of Washington Press, 2001. $40.00 (cloth), ISBN 978-0-295-98014-0.
Reviewed by Christian Pédelahore de Loddis
Published on H-Urban (October, 2001)
Le professeur William S. Logan est titulaire de la chaire Unesco du Patrimoine Culturel à l'université Deakin de Melbourne, Australie. Il a travaillé comme expert auprès de l'Unesco, de AusAID (Australian Aid, coopération publique), est a été membre de la Commission du Patrimoine Australien. Il a également été dans les années 90 membre du programme gouvernemental Australien "Planification et Développement de Hanoi".
L'ouvrage global du professeur LOGAN vient à point nommé. En effet, depuis l'ouverture du Vietnam, en 1986, l'on assiste de par le monde à la découverte ou à la redécouverte du très riche et multiforme patrimoine architectural et urbain de sa capitale, Hanoi. Cet ouvrage, le premier du genre en Occident, retrace la tumultueuse histoire de la fabrication de cette ville d'un point de vue urbanistique, architectural mais aussi culturel.
Est ainsi brossée, l'histoire de Hanoi sur la longue durée, en rendant compte de la façon dont celle-ci se fait le reflet des changements politiques, culturels et économiques, pendant un millénaire de guerres intermittentes, de migrations et de changements culturels. William LOGAN analyse également les enjeux contemporains soulevés par la nécessaire préservation du patrimoine hanoien, dans un cadre actuel fait d'explosion urbaine et de transformation rapide des modes de vie.
Ce livre, à la présentation agréable et illustrée, au texte à la fois précis et simple, est particulièrement indiqué pour le grand public. Il permet de disposer d'une information exhaustive sur cette ville particulièrement envoûtante et attachante. De plus, grâce à son format compact, il saura accompagner avec bonheur les voyageurs qui entendent comprendre ce qu'il voient et découvrent sur place.
À ces qualités, ce livre en adjoint d'autres. Construit sur une très ample bibliographie et sur un découpage historique singulier, il dispose ainsi de forts atouts pour intéresser un vaste public d'étudiants, de chercheurs, d'universitaires, intéressés par la civilisation vietnamienne, que ceux-ci soient sociologues, historiens, architectes ou urbanistes. De plus, cet ouvrage marque une étape importante dans la consolidation des recherches occidentales sur les villes Vietnamiennes que j'ai eu l'honneur, pour ce qui concerne la France, de relancer sur le terrain à partir de 1979.[1] Il vient conforter l'apport éminent des chercheurs anglo-saxons [2]) à l'analyse historique et critique de l'urbanisme colonial Français et dénote l'explosion, dans la deuxième partie des années 90 de recherches internationales sur le Vietnam.[3]
C'est tout d'abord un travail de bibliographie remarquable qui est à souligner. Très complet, celui-ci comprend à la fois des textes historiques de la période coloniale, des documents et des dossiers d'archives, de nombreuses recherches récentes ainsi qu'un nombre important de textes Vietnamiens -que l'auteur a vraisemblablement fait traduire en anglais- dont ceux de Ngo Huy Quynhm [4], fondateur de l'Historiographie Architecturale Vietnamienne.
C'est également un rôle d'aiguillon et d'accélérateur que cet ouvrage peut jouer, notamment en France et au Vietnam, où une frilosité oscillant entre nostalgie et enfouissement, accueille encore trop peu souvent aujourd'hui des recherches portant sur les réalisations concrètes de la période coloniale.
Concernant les apports de cet ouvrage à la recherche spécialisée, un certain nombre de questions, dans différents domaines, prêtent le flanc à la critique ou, à tout le moins moins, initient le débat sur des questions centrales ; ce qui est d'ailleurs à porter au crédit de cette publication.
Ainsi, c'est, tout d'abord la périodisation, ou plutôt le découpage historique instauré par William Logan qui mérite d'être discuté. L'on comprend bien toute la séduction qu'il y à présenter Hanoi sous le sceau successif de la Chine, de la France, du Japon, des Etats Unis, de l'Union Soviétique puis de la globalisation économique. Même si l'auteur, dans le corps de chaque chapitre prend le soin de nuancer fortement ces principes implicites de périodisation, une certaine gêne demeure. Car, c'est bien l'inverse qui est à l'?uvre, comme nous le montre régulièrement notre travail sur le terrain et les recherches poussées sur les mouvements en profondeur de la civilisation vietnamienne. Ainsi, si la domination Chinoise à duré près de dix siècles, cette mainmise dut composer, dès le début, avec un substrat Vietnamien particulièrement tenace.[5]
Les Chinois, comme les Français plus tard, de irent contraints d'adapter leurs modèles spatiaux bien plus que leur culture mentale afin d'asseoir leur présence. Or, dans le même temps, de forts atavismes d'origine rurale- ce communalisme vietnamien fondateur et indestructible- travaillaient, transformaient, incorporaient alchimiquement ou rejetaient violemment ces mêmes modèles « urbains » ou architecturaux déjà passablement modifiés. Un processus, similaire dans son mode opératoire, marquera les 80 années de domination française. Car la marque singulière de cette ville, ce n'est point, en profondeur, l'imposition de modèles importés mais bien plutôt, par tous ses pores, la métamorphose et la percolation de ceux-ci opérée par le bas, par un terroir, une civilisation et une population têtus ; qui, souterrainement et inexorablement prennent l'avantage sur des modélisations extérieures pour la faire leur.
Concernant la période « japonaise » c'est, à notre avis, bien plutôt, la question, introduite en Indochine par le pétainisme triomphant, de l'autarcie et de l'exaltation de la ruralité qui dominera ce moment particulier. Cette question aura de profondes répercutions dans l'urbanisme et l'architecture, et portera, de plus, des échos singuliers, dans un contexte totalement différent, qui marqueront les périodes de la résistance et des trente premières années d'Indépendance. L'analyse de la période dite « soviétique » constitue un moment fort de l'ouvrage, avec un très intéressant et exhaustif compte rendu des actions des architectes du grand « Pays frère ». Cependant, là aussi, on peu questionner cette approche centrée sur les intervenants extérieurs qui laisse peu de place aux effets de continuité locale, qui nous semblent, pour notre part, dominants.
Cela est d'autant plus vrai que pendant les années 60 les autorités et les professionnels vietnamiens auront été les artisans essentiels de leur propre développement et que, par ailleurs, ceux-ci ont toujours recherché la diversification et l'émiettement des aides et des influences extérieures afin d'asseoir leur maîtrise et leur indépendance. On peu en voir un exemple dans cette recherche permanente -vitale dans le domaine politique- d'un incertain équilibre entre la Chine et L'Union Soviétique, seul moyen dont disposait alors le Vietnam pour les maintenir tous deux à distance. Il en fut de même dans le domaine de la construction oùl'on peu analyser un fort subtil équilibrage entre les apports Soviétiques, Chinois, Allemands (de l'Est), Cubains, Nord-coréens ainsi que Polonais. Une analyse approfondie de la politique et des réalisations d'habitat collectif, les « KTT », nous a permis de commencer à en apporter la preuve.[6]
Deuxièmement, la nécessité d'un regard analytique extérieur, dont l'ouvrage de Logan fait assurément parti, reste par trop implicite et non problématisée. Or il se trouve que celle-ci nous semble essentielle au développement des études hanoiennes, et ce pour plusieurs raisons : Du fait du parcours singulier de cette ville et de ce pays, sous les feux d'une guerre de 30 ans, dramatiquement isolés et retranchés physiquement du monde pendant près d'un demi siècle. Du fait, également, que la distanciation et l'extériorité permettent d'apporter dynamisme et mouvement dans la construction d'échanges fructueux avec les chercheurs locaux, en développant des angles d'attaque et des points de vue novateurs et inattendus. Révélateur de l'Autre à lui même , comme il me révèle à moi même [7], la dynamique de l'échange est fondatrice d'effets en retour -de feedback- qui dans le cas de Hanoi ont toujours été historiquement importants et secrètement fondateurs, plus que l'identification superficielle de discutables et partielles importations, que celles-ci soient intellectuelles, spatiales ou stylistiques.
Troisièmement, William Logan pose également, tout au long de son ouvrage, la question du Patrimoine. Celui-ci passe à la fois, classiquement, par l'analyse des objets et des configurations urbaines qui le composent ; tout comme par le recours à la définition de politiques de protection volontaristes et à la participation méthodologique et financière des pays développés. L'on regrettera cependant que l'auteur, par ailleurs expert de ces questions, ne questionne pas plus la validité de ce nouveau paradigme à prétention universelle. Or, il nous semble que pour ce faire, il faille en passer, préalablement, par l'exploration de la notion, à notre avis centrale, de l'interculturalité, et du rapport entre modernité occidentale et civilisation Orientale ;afin de fonder, à propos de Hanoi et avec quelque efficacité, une approche novatrice, socialement et culturellement solide, de la question du Patrimoine. En effet, cette notion, issue de l'évolution des sociétés occidentales, se doit absolument, pour avoir quelque validité opératoire, de trouver un terreau approprié en Asie. Or celui-ci ne peu être construit localement qu'en faisant référence et en le reliant aux caractéristiques de la culture et de la civilisation -Vietnamienne ici- présentes et actives dans le conscient et l'inconscient anthropologique collectif. Cela devrait pouvoir être réalisé en identifiant et en étudiant de façon précise les phénomènes d'appropriation culturelle des éléments exogènes dont l'architecture et l'urbanisme des villes occidentales font éminemment partie.[8]
Quatrièmement, ce qui nous semble manquer quelque peu ici, -et le cas de Hanoi est particulièrement exemplaire et riche de possibilités- est la convocation, après une série d'analyses externes telles que les conduit William Logan, d'un retour général sur la matérialité hanoienne. Faire « parler les pierres » au travers de l'analyse fine des typologies constructives, des dispositifs spatiaux, des morphologies urbaines du terrain étudié en lui même et pour lui même.
Après une Analyse largement Exogène, restent encore et toujours à conduire et à faire converger de multiples analyses Endogènes. Car, si l'on en revient toujours, dans un premier temps, à la diffusion et à l'influence des modèles architecturaux et urbains, ce n'est, ce nous semble, que par la compréhension précise du caractère multiple, complexe, et surtout incorporé et recréé que ceux-ci prennent à Hanoi, dans un processus d'aller-retour multiples ; que l'on peu , à la fois, saisir et analyser avec précision l'enseignement singulier de cette ville, si difficile à caractériser et pourtant si facile à sentir et à reconnaître. Ainsi, par delà l'histoire factuelle et formelle de Hanoi ; telle semble être, par stratifications et métamorphoses successives, et dans une mécanique complexe de l'échange transculturel, l'esprit et l'être urbain profond de cette ville.
Ce n'est pas le moindre des mérites de cette « Biography of a City » que nous encourager a en poursuivre, collectivement, le portrait contrasté et multiple.
[1]. Voir: Christian Pédelahore de Loddis : " Les Eléments Constitutifs de Hanoi ", Rapport BRA/MULT, Paris, 1983, 15Op., Illustré, Bibliographie, Chronologie Historique.
[2]. Voir entre autres : Paul Rabinow et Gwendoline Wright : « Savoir et Pouvoir dans l'Urbanisme moderne Colonial d'Ernest Hebrard », in : Cahiers de la Recherche Architecturale N°9, Janvier 1982, Paris, pp36-38. ; ainsi que :Gwendoline Wright : « The Politics of Design in French Colonial Urbanism », University of Chicago Press, Chicago, 1991.
[3]. Voir, à titre d'exemple pour ce qui concerne la France : Collectif : «Hanoi, le cycle des Métamorphoses. Formes architecturales et urbaines »,Cahiers de l' IPRAUS, Editions Recherches, Paris, 2001. 352p, Ill. cl. & nb.; ainsi que : Philippe Papin : « Histoire de Hanoi » Librairie Arthème Fayard éditeur, 2001, 404p., Ill. nb, Bibliog., index, Chronologie.
[4]. Ngo Huy Quynh : « Lich Su Kien Truc Viet Nam », (1986), dernière édition : Nha Xuat Ban Van Hoa Thong Tin, Ha Noi, 1998, pp1337, ill. n&b, bibliog.
[5]. Voir, à ce sujet, les excellents chapitres I, II et III de : Philippe Papin : « Histoire de Hanoi », op. cit. ; ainsi que l'essentiel texte de André-Georges Haudricourt « les Pieds sur terre », A-M Métaillé Editeur, Paris, 1987, 196p., ill .nb, Bibliog. ; Et notamment p. 98 : « Les Vietnamiens ont « mijoté » (dans le chaudron Chinois) pendant un millénaire (?) avant de se révéler incuisables et indigestes,? ».
[6]. Voir : - Pédelahore de Loddis, Christian : "L'habitat Collectif à Hanoi, Généalogies Historiques et Typologies de la Transformation (1941-2001) », In : « Hanoi, le cycle des Métamorphoses. Formes architecturales et urbaines »,Cahiers de l' IPRAUS, Editions Recherches, Paris, 2001, pp. 297-309, ill. nb.
[7]. Voir : Victor Segalen : « Essai sur l'exotisme : un Esthétique du Divers » (1904-1918), Fata Morgana, 1978., ; ainsi que : Christian Pédelahore de Loddis :« Ernest Hebrard et l'Indochine, Une synthèse entre Orient et Occident », 10p., Paris, 2001. Publié in : Yiakoumis, Haris et Pédelahore de Loddis, Christian « Ernest Hebrard, Vie illustrée d'un Architecte Planétaire, De la Grèce à l'Indochine », Editions Bastos-Plessas, Athènes et Picard, Paris, 2001, 250p., ill. cl., Bibliog., index, 24.5x30 cm.
[8]. Voir : Christian Pédelahore de Loddis : « Transitivité et transductivité dans l'Architecture Urbaine vietnamienne », communication du Séminaire « Hanoi au miroir des Métropoles asiatiques », 13 Septembre 2001,( à Paraître).
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Citation:
Christian Pédelahore de Loddis. Review of Logan, William S., Hanoi: Biography of a City.
H-Urban, H-Net Reviews.
October, 2001.
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