
S. Annette Finley-Croswhite. Henry IV and the Towns: The Pursuit of Legitimacy in French Urban Society, 1589-1610. Cambridge and New York: Cambridge University Press, 1999. xiv + 219 pp. £35.00 (cloth), ISBN 978-0-521-62017-8.
Reviewed by Pierre-Yves Beaurepaire (Department of History, University of Orléans)
Published on H-Urban (October, 2001)
Ralliement des élites municipales et constitution de réseaux de clientèles: la politique urbaine d'Henri IV (1593-1598)
Ralliement des élites municipales et constitution de réseaux de clientèles: la politique urbaine d'Henri IV (1593-1598)
S. Annette Finley-Croswhite. Henry IV and the Towns: The Pursuit of Legitimacy in French Urban Society, 1589-1610. Cambridge studies in Early Modern History. Cambridge and New York: Cambridge University Press, 1999. xiv + 219 pp. Tables, maps, graphics, notes, bibliography, and index. 35.00 (cloth), ISBN 0-521-62017-1.
S. Annette Finley-Croswhite a repris le dossier de sa thèse de doctorat, Henry IV and the towns: Royal Authority and Municipal Autonomy, 1589-1610, soutenue à Emory University, en 1991, dont le thème lui avait été suggéré par le regretté J. Russell Major, pour livrer un essai stimulant sur les rapports complexes entre autorité royale et autonomie urbaine, la constitution de réseaux de clientèles citadines au cours des années cruciales où Henri IV après avoir été reconnu comme souverain légitime en 1589 par les villes royalistes, et avoir abjuré en 1593, doit encore rallier et réduire protestants déçus et ligueurs hostiles. Si le titre initial a été conservé, en revanche le sous-titre est devenu: The Pursuit of Legitimacy in French Urban Society, 1589-1610, signe d'un resserrement de la problématique autour des enjeux de la légitimité politique, de l'étude des instances de légitimation mobilisées par le roi dans son dialogue difficile mais indispensable avec les villes, notamment ligueuses. La quête de légitimité crée un espace de dialogue, de négociations, de chantage parfois, entre le roi, ses représentants locaux et les élites urbaines. La relation patron-client est donc dès l'introduction au c^Üur de l'ouvrage. S. Annette Finley-Croswhite reprend à son compte la définition qu'en donne Sharon Kettering (une relation volontaire basée sur l'échange réciproque entre des participants de statut inégal) [1], qu'elle préfère à la relation d'homme à homme entre maître et fidèle défendue par Roland Mousnier, qu'elle juge trop rigide et contraignante, et la notion d'affinity proposée par Mark Greengrass et Stuart Carroll qu'elle juge trop lâche.[2]
Ecartant délibérant Paris de son champ d'observation, l'auteur privilégie des études de cas provinciaux: Abbeville, Amiens, La Rochelle, Limoges, Montauban et Poitiers. Elle a effectué de nombres séjours dans les dépôts d'archives municipales (Amiens, Montauban, Toulouse et Tours notamment) et départementales (Lot-et-Garonne, Somme, Tarn), d'où elle a retiré une ample moisson documentaire, complétée à Paris par des recherches dans le Fonds français du Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale et aux Archives nationales. L'auteur a donc clairement le "goût de l'archive", pour reprendre l'expression d'Arlette Farge; on peut seulement regretter que les références des pièces consultées à la Bibliothèque nationale soient incomplètes.
L'ouvrage est solidement structuré en huit chapitres. Après une présentation rapide de la France des décennies 1580 et 1590, objet du premier chapitre, S. Annette Finley-Croswhite étudie les différents dispositifs mis en ^Üuvre par Henri IV, son entourage et ses relais locaux pour asseoir sa légitimité et son autorité: la constitution, l'entretien et l'élargissement d'une clientèle royale parmi les élites urbaines (chapitre 2); l'entrée solennelle du roi dans la ville (chapitre 3); les négociations autour des franchises municipales des villes ligueuses (chapitre 4), royalistes et protestantes (chapitres 5); l'intervention du roi dans l'élection des officiers municipaux (chapitre 6); la réaction du roi aux émeutes antifiscales (chapitre 7)et aux difficultés financières des villes (chapitre 8). Une réflexion de synthèse sur Henri IV, l'autonomie urbaine et l'absolutisme français conclut l'ouvrage.
Avec la capitulation d'Amiens en 1594, S. Annette Finley-Croswhite entre d'emblée au c^Üur de sa problématique, en étudiant la constitution d'une clientèle royale dans une ville ligueuse.[3] Elle montre que le noyau dur identifié en 1588 sous Henri III n'a guère varié. Mais Henri IV y agrège des ralliés et d'anciens ligueurs qui ont senti le vent tourner et pensent à préserver leur avenir politique local. Pourtant, la présentation des réseaux amiénois royaliste (Augustin de Louvencourt) et ligueur (Vincent Le Roy) n'emporte pas totalement l'adhésion. Etre apparenté, allié ou en affaire avec un royaliste notoire ne signifie pas ipso facto qu'on relève de son réseau. Les familles sont divisées, les alliances fragiles, les rapprochements parfois de circonstance. L'auteur est bien obligée d'en convenir. L'anoblissement en 1594 pour service rendu à la cause monarchique ne saurait être considéré comme une preuve absolue, puisque certains ligueurs ralliés de la dernière heure en bénéficient. Surtout, on saisit mal les étapes de la constitution du réseau dont l'usage est par trop métaphorique et dont la représentation graphique n'arrive pas à restituer l'intensité, la fréquence des sollicitations, et l'ampleur des transactions. Stuart Caroll est plus précis et convaincant dans son étude de la construction, de la structure et de l'évolution des réseaux ligueurs qui s'organisent autour des ducs de Guise, d'Aumale et d'Elbeuf en Normandie dans sa thèse sur Noble Power during the French Wars of Religion. The Guise Affinity and the Catholic Cause in Normandy, soutenue en 1993 à l'Université de Londres, publiée en 1998 dans la même collection des Cambridge Studies in Early Modern History [4], et que S. Annette Finley-Croswhite ne cite pourtant pas dans sa bibliographie. La notion d'affinité que conteste l'auteur, on l'a dit, permet malgré son caractère commode voire flou dont on convient volontiers, d'insister sur l'existence de véritables nébuleuses. Les actes du colloque Laon, 1594 : Henri IV, la Ligue et la Ville [5], auraient également permis d'utiles comparaisons pour la même année, 1594, dans la même aire géographique, la Picardie, et au-delà.
Manquent aussi les références aux travaux français récents sur les réseaux sociaux à l'époque moderne, les officiers dits "moyens" [6], et la micro-histoire [7] bien que l'auteur s'en revendique ponctuellement- qui auraient permis de nourrir la réflexion sur les réseaux clientélaires. Comment s'opère la sélection des clients royaux parmi les élites urbainesmises en concurrence ? Les critères sont-ils identiques en 1589, après 1593 et après 1598? Le choix se révèle-t-il pertinent? Comment paralyser et parasiter un réseau adverse? La révolte des Pancartes à Poitiers et surtout à Limoges en 1601-1602 prouve que la question méritait d'être posée. Car la faiblesse, même conjoncturelle, des relais royaux ou leur manque de légitimité auprès de la population, fragilisent par ricochet l'autorité royale au point d'obliger le roi à intervenir directement, par la force, dans la cité.
Dès lors, le peuple urbain méritait sans doute également davantage d'attention. Car la quête de légitimité d'Henri IV passe aussi par l'adhésion, y compris affective, de la population à son roi. L'étude des relais et des médiateurs entre le roi, ses officiers et les élites urbaines, doit donc être complétée par celle des médiateurs et des échanges entre la major et sanior pars (littéralement la partie la plus grande et la plus saine de la population) et les strates sociales inférieures. Comment l'adhésion de la population est-elle recherchée? obtenue? maintenue?
S. Annette Finley-Croswhite montre de manière convaincante, après d'autres, comme Robert Descimon qu'elle cite [8], qu'Henri IV intervient dans la vie municipale (notamment dans les processus électoraux) de manière limitée et pragmatique, au cas par cas, lorsque le maintien de l'autorité monarchique l'exige. Loin de vouloir faire "mainmise sur les villes" (Jean-Pierre Babelon), ou de mettre en ^Üuvre un grand dessein absolutiste, Henri IV se montre respectueux de leurs privilèges, et sa propagande a d'ailleurs beau jeu d'accuser les Ligueurs en détresse financière de vouloir au contraire les rogner. Les entrées royales, le cas d'Abbeville est étudiée avec une grande minutie (chapitre 2), visent également au respect scrupuleux de la tradition: la continuité monarchique est mise en scène. Les entrées constituent bien un élément essentiel du dispositif de légitimation politique et d'adhésion affective du corps urbain au roi. Après avoir fait preuve de clémence, accueilli et récompensé les ralliés, Henri IV, sous les traits d'Hercule ou d'un nouveau Clovis, investit l'espace public pour dialoguer avec la cité repentie, et afficher son adhésion au catholicisme. Au final, cet essai s'inscrit dans la révision historiographique du règne d'Henri IV entamée depuis deux décennies et concourt avec d'autres travaux anglo-saxons, ceux de Philip Benedict, Robert Harding, Mack P. Holt, notamment, à éclairer la complexité d'un règne où selon le mot d'Emmanuel Le Roy Ladurie, "rien n'est simple".
[1]. Sharon Kettering. Brokers and Clients in Seventeenth-Century France. (Oxford: Oxford University Press, 1986), p. 33.
[2]. Mark Greengrass. "Noble Affinities in Early Modern France: The Case of Henri I de Montmorency, Constable of France", European History Quarterly, 16 (1986), pp. 275-311; Stuart Caroll. "The Guise Affinity and Popular Protest during the Wars of Religion", French History, 9 (1995), pp. 125-152.
[3]. La confrontation avec le cas de Grenoble récemment étudié par Stéphane Gal dans sa thèse, serait intéressante à mener, puisque la capitale du Dauphiné, autre province-frontière, entre en dissidence le 29 septembre 1589 et bascule par étapes dans le camp de la Ligue. Stéphane Gal. Grenoble au temps de la Ligue. Etude politique, sociale et religieuse d'une cité en crise (vers 1562-vers 1598). La Pierre et l'Ecrit. Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble, 2000, 632 pp.
[4]. Stuart Caroll. Noble Power during the French Wars of Religion. The Guise Affinity and the Catholic Cause in Normandy. Cambridge Studies in Early Modern History. (Cambridge and New York: Cambridge University Press, 1998), 298 pp.
[5]. Laon, 1594: Henri IV, la Ligue et la Ville. Actes du colloque organisé par la Société historique de Haute-Picardie (19-20 novembre 1994). Axona, mémoires et documents sur l'Aisne, Laon, 1996, tome 1.
[6]. Voir notamment Michel Cassan éd. Les officiers "moyens" à l'époque moderne: pouvoir, culture, identité. France, Angleterre, Espagne, préface de Yves-Marie Bercé. Limoges: Presses universitaires de Limoges, 1998, 399 pp. et l'introduction générale de Juan Luis Castellano et Jean-Pierre Dedieu éd. Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l'Ancien Régime. Amériques-Pays ibériques. Paris: CNRS éditions, 1998, 267 pp.
[7]. Jacques Revel éd. Jeux d'échelles. La micro-analyse à l'expérience. Hautes Études. Paris: Gallimard-Le Seuil, 1996, 243 pp.
[8]. Robert Descimon, "L'échevinage parisien sous Henri IV (1594-1610). Autonomie urbaine, conflits politiques et exclusives sociales". La Ville, la bourgeoisie et la genèse de l'Etat moderne (XVIIe-XVIIIIe siècle). Paris : Editions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1998, pp. 113-150.
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Citation:
Pierre-Yves Beaurepaire. Review of Finley-Croswhite, S. Annette, Henry IV and the Towns: The Pursuit of Legitimacy in French Urban Society, 1589-1610.
H-Urban, H-Net Reviews.
October, 2001.
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