Simon Teuscher. Bekannte--Klienten--Verwandte: SoziabilitÖ¤t und Politik in der Stadt Bern um 1500. Cologne, Weimar, Vienne: BÖ¶hlau Verlag, 1998. 315 pp. DM 88,00 (gebunden), ISBN 978-3-412-14397-8.
Reviewed by Martial Staub (Max-Planck-Institut für Geschichte)
Published on H-Urban (February, 1999)
La thèse de Doctorat de Simon Teuscher, de l'Université de Zurich, tire son originalité de la confrontation, il faut le dire largement inédite, d'approches pourtant aussi proches l'une de l'autre, et puisant en partie à la même source, que le sont la prosopographie, d'une part, et les travaux sur les groupes sociaux, d'autre part. Ainsi l'auteur aborde-t-il tour a tour les liens de parenté, dans le sens restreint des relations à l'intérieur du "noyau" familial comme dans celui, plus étendu, des liens entre "cousins" ou entre compères et commères, puis les liens de clientèle ainsi que les liens plus occasionnels noués, par exemple, dans les tavernes, le tout à Berne, au tournant des XVe-XVIe siècles.
Apres en avoir examiné, des chapitres III à VII, la prise en compte par les contemporains dans leurs actions, l'auteur s'attache plus précisément à apprécier leur incidence sur les décisions du pouvoir politique de la cité helvétique (chap. VIII). Pour ce faire, il recourt à des procès-verbaux d'interrogatoires judiciaires ainsi qu'a la correspondance diplomatique adressée a la municipalité par les autorités avoisinantes. Que les fonds en question aient été classés comme "sans intérêt" au XVIIe siècle et n'aient par conséquent dû qu'à un heureux concours de circonstances de nous parvenir souligne le caractère très circonstanciel que présentaient les pièces en question, et c'est bien ce qui en fait tout le prix pour l'historien des liens de personne à personne. Cela est d'autant plus le cas qu'ont été jointes à ces fonds, en quelque sorte comme 'pièces à conviction', de nombreuses lettres d'origine privée. Pour la moitié d'entre elles, ces lettres ont été adressées entre 1440 et 1450 au représentant de la municipalité de Berne installé à Thun, dans le pays bernois. Il convient à cet égard de rappeler que la ville somme toute modeste de Berne, avec tout au plus 5000 habitants à la fin du XVe siècle, était à la tête de l'un des plus vastes territoires urbains au nord des Alpes. N'est-ce pas finalement cet aspect qui, étant donne l'importance généralement accordée par les historiens à la territorialisation dans le processus de construction de l'Etat moderne, confère à l'étude de la "sociabilité" bernoise un caractère général, dépassant de loin le cadre monographique de l'étude ?
Projet à plus d'un titre ambitieux, donc, que celui-ci, dont on se demandera cependant si c'est par négligence qu'on ne s'y est pas attelé plus tôt ou, au contraire, par prudence. Peut-être fallait-il l'ampleur de vue d'un Roland Mousnier pour, le premier, tenter de concilier prosopographie et étude des formes de "fidélité".[1] Bien qu'empruntant le sous-titre de son étude au contemporanéiste Maurice Agulhon,[2] l'auteur se situe clairement dans la voie frayée par l'historien français de l'Ancien Régime, auquel il rend hommage (p. 14), tout en ne se cachant pas les difficultés à surmonter. La méthode prosopographique et l'histoire des groupes sociaux partent certes l'une comme l'autre du principe que les structures de groupe jouèrent un rôle déterminant dans le fonctionnement des sociétés anciennes. Les divergences d'appréciation entre historiens semblent plutôt porter sur la place à accorder à l'Etat dans ce cadre-là. C'est du reste sur cette question que l'auteur clôt son étude (chap. IX), sa position ayant le mérite de rendre plus plausible encore la thèse, qu'il défend après beaucoup d'autres, selon laquelle l'Etat moderne aurait, à ses débuts, coexisté avec des structures de groupe. Simon Teuscher invite à cet égard à prendre en compte le fait que l'importance croissante prise par l'Etat aurait conduit à une formalisation générale des normes sociales dont auraient également profité les groupes sociaux, désormais bien plus structurés qu'auparavant (p. 259 suiv.).
Cela dit, si tel est le cas à Berne, c'est peut-être parce nous sommes, depuis au plus tard la fin du XIIIe siècle, en présence d'une commune, c'est-à-dire à un autre groupe social, avant d'avoir affaire à un Etat au sens où l'envisageait l'historien allemand Gerhard Oestreich lorsqu'il formula la thèse, bien connue, de la régulation, puis de la discipline de la société par ce même Etat à partir de la fin du Moyen Age,[3] thèse sur laquelle repose en dernière instance la proposition de l'auteur. Encore faudrait-il, pour pouvoir envisager les choses de cette manière, aborder les groupes sociaux par le biais des représentations. Par là, on n'entend pas tant ce qu'on a pris l'habitude de qualifier de "discours", que l'auteur envisage du reste, même si ses analyses en montrent en fin de compte les limites (ainsi en va-t-il, par exemple, du discours "lignager", dont Simon Teuscher est obligé de constater qu'il ne s'est traduit d'aucune façon dans les structures sociales avant 1500 [p. 81]). Il s'agit bien plus, en tenant compte du caractère contractuel des associations anciennes - au sens d'un contrat engageant la personne dans sa totalité, ce que Max Weber appelait le "contrat de statut", pour le distinguer de la forme moderne du contrat-, d'accorder l'attention qui s'impose aux formes institutionnelles telles que le serment mutuel, formes que l'on aurait tort de mesurer à l'aune du formalisme moderne, comme le faisaient déjà remarquer Eric Hobsbawm[4] ou l'historien allemand du Droit Wilhelm Ebel.[5] Or, à considérer les choses sous cet angle, on prend la mesure véritable de la difficulté qu'il y a à vouloir, comme Simon Teuscher, confronter prosopographie et travaux sur les groupes sociaux. Toujours est-il que, dans un cadre urbain, la méthode préconisée suppose qu'on s'attache à la commune, comme on vient de le voir, mais au-delà aussi à ces autres solidarités consensuelles que constituaient les guildes, les confréries, etc. Gageons que l'image ainsi obtenue différerait de beaucoup de celle obtenue à la seule considération des solidarités domestiques et des solidarités "familiales", ainsi que certains travaux portant sur des villes comparables a Berne le laissent penser. Simon Teuscher, qui se limite à ces deux dernières formes de solidarité, est en tout état de cause oblige de conclure a leur faible incidence sur les comportements sociaux ou, dans les rares situations ou cela n'est pas le cas, à leur durée restreinte. Ainsi le "noyau" familial ne semble-t-il guère avoir tenu de place vraiment déterminante dans la société bernoise de la fin du Moyen Age, signe, sans doute, qu'il n'était guère perçu isolément. Et, de fait, les liens de parenté paraissent s'être exprimés avant tout au travers du "cousinage", désignation de la parentèle. On se demandera d'ailleurs si les pratiques successorales ne jouaient pas ici un rôle déterminant, pour peu que les rares informations dont nous disposons à leur sujet en contexte urbain soient fiables. Car il semble bien que la parentèle ait été le cadre normal de ces pratiques. Malheureusement, l'auteur n'aborde pas la question. Cela dit, même les liens de parentèle ne faisaient visiblement que de manière fort irrégulière l'objet d'un recours de la part de la population bernoise. De toutes les solidarités de type "familial", il semble bien que ce soit le compérage qui ait joue le plus grand rôle à cet égard. Cela ne surprend pas trop, à vrai dire, au regard de sa perméabilité sociale, déjà constatée par la médiéviste française Christiane Klapisch-Zuber a propos de Florence.[6] Pour autant, on ne s'en remettait que de façon fort circonstancielle à ce lien. Du coup, on ne s'étonnera d'ailleurs pas du caractère extrêmement diffus d'un clientélisme dont on en arrive à se demander, avec l'auteur, s'il correspond bien à une quelconque réalité. Tout au plus cela est-il le cas dans le cadre des rapports ville-campagne, mais ne rencontre-t-on pas la une différence de ressources qu'on ne retrouve guère avant 1500 au sein des villes du monde germanique, du moins a ce degré d'institutionnalisation ?
Par les résultats auxquels elle parvient, l'analyse de Simon Teuscher confirme d'une certaine manière l'intuition d'historiens qui, tel le médiéviste allemand Otto Gerhard Oexle,[7] préfèrent mettre l'accent sur les formes consensuelles de solidarité. Or s'attacher a ce type de solidarités suppose de tenir encore plus radicalement compte que ne le fait cette étude - dont il importe cependant de souligner, sur ce point aussi, l'intérêt - des logiques (institutionnelles) présidant à la transmission des écrits. Ainsi se demandera-t-on dans quelle mesure les sources éventuellement laissées par les solidarités consensuelles autres que communales n'ont pas plus de chances d'avoir été conservées dans des fonds privés ou, en raison notamment du poids revêtu par la commémoration des membres décédés, dans des dépôts ecclésiastiques, plutôt que dans les fonds publics. Le tableau de la "sociabilité" bernoise dressé par Simon Teuscher pourrait s'en trouver profondément modifié, on l'a dit, au risque, il est vrai, de rendre plus difficile encore la confrontation des travaux sur les groupes sociaux avec la méthode prosopographique. C'est cette tâche, pourtant, que nous sommes dorénavant invités a poursuivre à la suite de l'auteur.
Notes:
[1]. Hommage a Roland Mousnier : clienteles et fidelites en Europe a l'epoque moderne Yves Durand (dir),Paris : Pr. Univ. de France, 1981, XXIII, 388 p.
[2]. Agulhon, Maurice, -Le cercle dans la France bourgeoise : 1810 - 1848; etude d'une mutation de sociabilite_, Paris : Colin, 1977, 105 p. (Cahiers des annales, 36)
[3]. Oestreich, Gerhard, Geist und Gestalt des fruehmodernen Staates : ausgewaehlte Aufsaetze, Berlin : Duncker & Humblot, 1969, 355 p.; "Policey und Prudentia civilis in der barocken Gesellschaft von Stadt und Staat", in Schoen, Albrechte Stadt, Schule, Universitaet, Buchwesen und die deutsche Literatur im 17. Jahrhundert : Vorlagen und Diskussionen eines Barock-Symposions der Deutschen Forschungsgemeinschaft 1974 in Wolfenbuettel, Munich : Beck, 1976, XXI, 681 p., p.10-21;
[4]. Hobsbawm, Eric, Primitive rebels : studies in archaic forms of social movements in the 19th and 20th centuries, Manchester : Manchester University press, 1959, vii, 208 p.;
[5]. Ebel, Wilhelm, Recht und Form : vom Stilwandel im deutschen Recht, Tuebingen : Mohr, 1975 (Recht und Staat in Geschichte und Gegenwart; 449), 33 p.
[6]. Christiane Klapisch-Zuber, "Comperage et clientelisme", repris in: id., La Maison et le nom : strategies et rituels dans l'italie de la Renaissance, Paris : Ed. de l'EHESS, 1990 (Civilisations et societes, 81), 396 p., p.123-133;
[7]. Otto Gerhard Oexle a ecrit une multitude d'articles; je citerai son programmatique "Gilden als soziale Gruppen in der Karolingerzeit", in Jankuhn, Herbert: Das Handwerk in vor- und fruehgeschichtlicher Zeit : Bericht ueber die Kolloquien der Kommission fuer die Altertumskunde Mittel- und Nordeuropas in den Jahren 1977 bis 1980, Goettingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1981 (Akademie der Wissenschaften <Goettingen> , Philologisch-Historische Klasse, 3. Folge, 122), p.284-354; ou encore "Kulturwissenschaftliche Reflexionen ueber soziale Gruppen in der mittelalterlichen Gesellschaft: Toennies, Simmel, Durkheim und Max Weber", in Meier, Christian, Die okzidentale Stadt nach Max Weber : zum Problem der Zugehoerigkeit in Antike und Mittelalter Munich : Oldenbourg, 1994 (Historische Zeitschrift, Beiheft, Neue Folge, 17), 242 p., p.115-159; voir aussi en francais "Les groupes sociaux du Moyen Age et les debuts de la sociologie contemporaine", Annales ESC, 1992, p.751-765.
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Martial Staub. Review of Teuscher, Simon, Bekannte--Klienten--Verwandte: SoziabilitÖ¤t und Politik in der Stadt Bern um 1500.
H-Urban, H-Net Reviews.
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