Dirk Schubert. Stadterneuerung in London und Hamburg: Eine Stadtgeschichte zwischen Modernisierung und Disziplinierung. Brunswick: Vieweg & Sohn, 1997. xii + 704 pp. DM 98,00 (cloth), ISBN 978-3-528-08137-9.
Reviewed by Helene Janniere (Ecole d'architecture, Paris)
Published on H-Urban (May, 1998)
Urban Renewal in London and Hamburg
Cet ouvrage, une lecture historique des tentatives de reforme et de modernisation urbaines entre 1850 et 1950 a Londres et a Hambourg, offre une lecture croisee entre renovation des structures spatiales, modernisation sociale et emergence de la planification urbaine et territoriale. Partant de la question du logement et des quartiers insalubres, Dirk Schubert (enseignant a la Technische Universitat Hambourg-Harburg ) etend son champ d'investigation a la mise en place de nouveaux outils (institutionnels et legislatifs), a l'elaboration des theories et des modeles urbains, a leur reception differenciee enGrande-Bretagne et en Allemagne, et, enfin, a la constitution d'une discipline, l'urbanisme.
La renovation urbaine n'est donc ici pas envisagee au sens strictement spatial comme un projet et ses consequences sur les structures et les typologies urbaines, mais comme un processus qui engage, sur la longue duree, des acteurs d'horizons differents. Deux notions forment le pivot de cette analyse: la modernisation (Modernisierung), entendue dans une double acception, sociale et spatiale, et l'"assainissement" (Sanierung), c'est-a-dire la demolition et la restructuration de quartiers juges a la fois insalubres et socialement "dangereux." Modernisation et "assainissement" sont analyses ici comme les principaux moteurs de la renovation (Stadterneuerung) et de l'extension (Stadterweiterung) urbaines. Notion issue de l'industrialisation, de l'organisation du travail, la modernisation est ici comprise comme "mise en ordre" a la fois des structures physiques et spatiales de la ville et des modes de vie. La renovation urbaine presente ainsi un "double visage": d'un cote amelioration du logement, rationalisation des reseaux viaires et des transports, et de l'autre processus autoritaire de normalisation et de controle social. Plus encore, cette modernisation est directement issue des representations que le pouvoir politique national ou local, les reformateurs puis les professionnels de l'urbanisme forgent de ces couches sociales: representations le plus souvent negatives, qui percoivent dans les quartiers insalubres, la mortalite et la criminalite qui y sevissent, un indice du "declin" de la societe, consequence de l'industrialisation et de la croissance des villes au XIXe siecle. Peu importe que les reformes urbaines soient d'origine socialisantes "progressistes," ou qu'elles emanent autoritairement d'un pouvoir conservateur: les operations de renovation urbaine (et en particulier le slum clearance), n'ont donc pas tant pour effet d'ameliorer les conditions de vie des classes les plus pauvres que d'eliminer--voire de repousser aux marges de la ville--un probleme d'ordre social plus que d'ordre spatial. En cela elles presentent un aspect paradoxal, que Dirk Schubert qualifie de "visage de Janus": un des effets pervers de la modernisation, tant des infrastructures que des typologies d'immeubles collectifs, loin d'ameliorer les conditions de vie et d'habitat des couches sociales les plus defavorisees, est au contraire de les fragiliser et de les eloigner progressivement du centre-ville, sinon de les priver definitivement de logement: c'est la l'une des lois "structurelles" de la renovation urbaine que l'auteur tente de degager.
De la sorte, ce livre s'ecarte tout d'abord d'une conception de la modernisation urbaine vue comme transformation "progressiste," dont temoigneraient une architecture et un urbanisme "modernes"; la modernisation est totalement independante des modeles esthetiques convoques. L'auteur affirme se demarquer de cette maniere d'une histoire urbaine concue sur le modele de l'histoire des villes et de l'architecture au sens "esthetique," qui, selon lui, associe "modernisation" a avant-gardes architecturales et urbaines, et pour laquelle le "moderne" est essentiellement identifiable par des criteres formels. Cette etude se demarque en outre d'une histoire des villes qui placerait les urbanistes au centre des processus de transformation urbaine au sens de modification des structures spatiales et des formes; il definit au contraire la renovation urbaine comme une "chaine d'actions" impliquant de multiples acteurs. La grille d'analyse appliquee aux deux villes prend en compte la perception de la question du logement, les institutions, les acteurs et les discours, les modeles urbains et leur reception. L'ouvrage relativise la place des professionnels de l'urbanisme en restituant leur action dans les cadres politiques et institutionnels, au sein des conflits entre differents acteurs; il montre les resistances rencontrees, au niveau national et local, a l'egard des processus de reforme. En dressant une histoire de la renovation urbaine comme "histoire anonyme," collective, il relativise la part "subjective," intentionnelle et artistique du "projet" urbain; insistant, plus que sur les modeles et leur application, sur les resultats "non intentionnels," sur les modeles detournes ou alteres par les contextes locaux, ou encore sur les alternatives non explorees. Ce redimensionnement du role de l'urbaniste est en outre corrobore par une analyse historique de la constitution de l'urbanisme en discipline "scientifique," qui ne s'effectue que tres progressivement a partir de savoirs d'abord heterogenes et empiriques. Enfin, en examinant la genese des structures publiques, nationales et locales, d'intervention sur la ville, la mise en place des outils juridiques, l'auteur pose la question de la renovation urbaine comme action etatique ou comme initiative privee, les conflits entre les tenants de ces deux types d'intervention. La comparaison entre Londres et Hambourg montre a cet egard deux configurations opposees. Les interventions "progressistes" seraient en Angleterre dues a l'Etat, qui promulgue des lois rencontrant bien souvent des resistances au niveau local. A l'oppose, les initiatives de la renovation urbaine a Hambourg reviennent en grande partie aux politiques locales.
Sur le plan international, le livre restitue les choix urbanistiques de Londres et de Hambourg dans le cadre plus large de la croissance urbaine europeenne de la seconde revolution industrielle a la seconde guerre mondiale; en meme temps, il offre une analyse detaillee des politiques urbaines, des modeles et de leur reception au niveau national en Allemagne et en Angleterre et au niveau local. L'analyse s'articule en quatre periodes delimitees par des evenements internationaux--la premiere guerre mondiale, la crise economique et la prise de pouvoir en 1933 par les national-socialistes en Allemagne, la seconde guerre mondiale. La description de chaque periode s'ouvre sur un bref rappel du contexte de la croissance des villes en Europe, et des enjeux de la question urbaine en Angleterre et en Allemagne; les situations londonienne et hambourgeoise sont ensuite detaillees dans une analyse historique tres documentee des institutions, des politiques urbaines, des modeles et de leurs applications--ou leurs alterations--dans les quartiers de Hambourg et de Londres touches par la renovation Enfin, l'etude de chaque phase se conclut sur une analyse transversale, qui elargit la problematique en examinant, au niveau international, les modeles urbains dominants, leur reception differenciee en Angleterre et en Allemagne, leur diffusion dans la litterature specialisee et, parallelement, la constitution progressive d'un corpus de savoirs theoriques sur la ville.
Ce decoupage temporel presente un autre interet: au cours de ces quatre periodes, on voit, d'une part, se succeder differentes representations sociales du logement, des quartiers insalubres et de la "ville moderne"; et, d'autre part se construire, au cours de quatre phases bien distinctes, les instruments institutionnels et theoriques de planification. Ainsi l'interrogation sur la question du logement, empirique au milieu du XIXe siecle, se constitue progressivement en une "science urbaine" puis, a la veille de la seconde guerre mondiale, celle-ci evolue vers la planification, urbaine et territoriale. Parallelement, on voit se modifier la nature et le type des modernisations operees, ainsi que la localisation des quartiers concernes: du "curetage" des centres a la construction de logements a la peripherie, a l'edification a cites-jardins et les villes-satellites. Ainsi, la premiere periode, de 1850 a 1885, periode de forte croissance urbaine liee a l'industrialisation, est marquee par la "decouverte" du probleme des slums; l'ouvrage montre cette prise de conscience tant dans la litterature ou dans les representations populaires de ces quartiers "dangereux" que chez les premiers reformateurs urbains. Definie comme "phase d'experimentation," elle est caracterisee par des tentatives de reforme empiriques et "chaotiques," d'initiative le plus souvent privee, emanant de societes philanthropiques. C'est une perception negative de l'habitat et des conditions de vie ouvrieres, percues comme "sales" et "amorales," qui fondent ces initiatives: l'hygienisme est alors le "moteur des reformes et de la planification." Dans les annees 1880 cependant, on voit se formuler la question du logement comme probleme social et spatial, et, parallelement, se mettre en place--surtout en Grande-Bretagne--les institutions consacrees a l'amenagement des villes (le London County Council est fonde en 1889). C'est, avec la rationalisation et la diffusion des savoirs relatifs a la ville, la "formation de l'urbanisme comme discipline scientifique" qui marque la seconde periode, de la fin des annees 1880 a 1914. Cette "science urbaine" naissante commence a concevoir la ville comme phenomene et non plus seulement comme probleme de logement insalubre. Si la "question de la grande ville" devient une preoccupation internationale, sa problematisation epouse en Angleterre et en Allemagne des visages divergents. De nature pragmatique en Angleterre, la "science urbaine" est "dominee par une description systematique de la realite sociale et de ses manifestations de pauvrete, de misere dans les slums, de manque de logement." Plus theorique en Allemagne, elle s'appuie sur la sociologie; et vient croiser la pensee "anti-urbaine" forgee au milieu du XIXe siecle (Wilhelm-Heinrich Riehl), qui percoit dans la croissance des villes et dans le "corps malade de la metropole" l'indice d'une societe en declin. Elle s'y superpose en outre a des conceptions nationalistes et eugenistes. C'est desormais la question de l'extension des villes, et non plus la simple demolition des quartiers insalubres, qui est au centre des pratiques comme des theories de la renovation urbaine. A partir de 1885 en Angleterre, de 1900 en Allemagne, la volonte de donner a Londres et a Hambourg les structures et le visage representatifs d'une "metropole" ("Wir bekommen nicht bloß einfach 'grobe Stadte', sondern 'Grobstadte'") passe par un remodelage des centres-villes de plus en plus voues a un secteur tertiaire en plein developpement (la City londonienne devient un modele pour Hambourg); tandis qu'on rationalise les reseaux viaires et les transports.
Durant la troisieme periode (1919-1933), la pression d'une croissance urbaine acceleree, la decentralisation des activites industrielles et des quartiers d'habitation, rendent obsoletes les institutions, les lois et les instruments de planification afferents aux limites administratives des villes. On assiste a un basculement d'echelle, tant a Londres ou s'elaborent des instruments de planification regionale (Thames Valley Joint Town Planning Committee, 1926, Greater London Regional Planning Committee, 1929) qu'a Hambourg, ou la planification urbaine doit composer avec les villes voisines de Wandsbeck, Harburg et Altona, traiter, en outre, de l'extension du port (developpe de maniere exponentielle entre 1919 et le milieu des annees vingt) et elargir le centre d'affaires. En Angleterre, un virulent debat oppose les tenants de la "construction en hauteur" sur le modele americain et les partisans d'un habitat peu dense, sous forme de cites-jardin disseminees sur le territoire. L'edification de nouveaux quartiers de logements sociaux en peripherie des centres cede ainsi le pas a la construction de villes-satellites separees par des "ceintures-vertes." A Londres l'implantation des Out-County garden-cities depasse les limites du London County Council. En Allemagne, sous la Republique de Weimar qui amorce une politique massive de logement sociaux, les municipalites favorisent, par l'acquisition du sol loin des centres-ville, l'implantation des Trabantenstädte. Ces villes-satellites visent a accomplir l'Auflosung der Stadt (dissolution de la ville), en formant des unites urbaines a croissance limitee, reparties sur le territoire, impliquent de nouveaux rapports "harmonieux" entre ville et "campagne." Dans cette conception se reconnaissent aussi bien les reformateurs sociaux "progressistes" que les conservateurs, tenants des theories "anti-urbaines."
Cette tendance s'intensifiera en Allemagne lors de la derniere periode (1933-1950). Ainsi, l'idee de dissolution de la ville, instauree au XIXe siecle, revisitee par les architectes du neues Bauen sous la Republique de Weimar, est au coeur des modeles urbains elabores sous le pouvoir nazi, qui tente d'organiser sur l'ensemble du territoire la "ville-paysage" (Stadtlandschaft) hierarchisee en "cellules" (Siedlungszellen) a l'echelle de petites communautes de peuplement (Volksgemeinschaften) sur le modele de la structuration organique du parti national-socialiste. L'emergence de la planification territoriale a l'echelle nationale, qui marque dans les deux pays cette derniere periode, est faconnee par l'ideologie politique nationaliste en Allemagne, dominee par la politique economique en Angleterre. Sous l'influence croissante des modeles americains, la Grande-Bretagne s'attache a resoudre au niveau theorique le probleme des slums. Particulierement interessante est a cet egard l'analyse de la reception de l'unite de voisinage--concue aux Etats-Unis dans les annees vingt par Clarence A. Perry--en Angleterre puis, en Allemagne, ou, "redecouverte" apres 1945, l'unite de voisinage s'inscrit en continuite avec les anciennes Siedlungszelle tout en leur conferant, un visage "democratique." Elle constituera ainsi au lendemain de la guerre l'un des modeles dominants de la reconstruction allemande; alors qu'en Grande-Bretagne, integree avant meme la fin de la guerre, l'unite de voisinage est l'un des principes structurants des New Towns prevues par le County of London Plan de 1943.
Bien que le livre se decoupe en chapitres consacres tour a tour a chaque ville, au ton parfois monographique, l'analyse ne perd jamais de vue les jeux de miroirs, d'echanges et d'influences reciproques que presentent les scenes britannique et allemande a travers Londres et Hambourg. Jeux d'echanges que viennent intensifier, d'une part, la concurrence a laquelle se livrent l'Angleterre et l'Allemagne pour la place de premiere puissance economique en Europe; et, d'autre part, le regard constant des allemands sur les experiences londoniennes de slum clearance; configuration bipolaire modifiee, dans les annees vingt, par l'entree en scene des modeles americains. L'ouvrage montre egalement l'importance croissante, a partir de la fin du XIXe siecle, des dispositifs internationaux (Congres internationaux d'urbanisme) tout d'abord dans la constitution des savoirs sur la ville (par exemple a travers l'analyse comparee des villes) puis dans la diffusion de modeles urbains (role des CIAM). A l'etude de ces dispositifs, vient s'ajouter un regard sur la "litterature urbaine": sociologie, traites d'urbanisme, presse specialisee. Conduite sur un siecle, cette lecture historique fort detaillee offre, par des angles de vue multiples, un panorama elargi des transformations urbaines entre 1850 et 1950. A partir des operations de renovation a Londres et a Hambourg, ce sont aussi les enjeux politiques, institutionnels et sociaux de la modernisation qui sont interroges.
Copyright (c) 1998 by H-Net, all rights reserved. This work may be copied for non-profit educational use if proper credit is given to the author and the list. For other permission, please contact H-Net@H-Net.MSU.EDU.
If there is additional discussion of this review, you may access it through the network, at: https://networks.h-net.org/h-urban.
Citation:
Helene Janniere. Review of Schubert, Dirk, Stadterneuerung in London und Hamburg: Eine Stadtgeschichte zwischen Modernisierung und Disziplinierung.
H-Urban, H-Net Reviews.
May, 1998.
URL: http://www.h-net.org/reviews/showrev.php?id=1992
Copyright © 1998 by H-Net, all rights reserved. H-Net permits the redistribution and reprinting of this work for nonprofit, educational purposes, with full and accurate attribution to the author, web location, date of publication, originating list, and H-Net: Humanities & Social Sciences Online. For any other proposed use, contact the Reviews editorial staff at hbooks@mail.h-net.org.