
Philipp Sarasin. Stadt der Bürger: Bürgerliche Macht und städtische Gesellschaft. Basel 1846 - 1914. Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 1997. 369 S. (broschiert), ISBN 978-3-525-36105-4.
Reviewed by Francois Walter (Universite de Geneve)
Published on H-Urban (April, 1998)
Ce livre a un caractere particulier puisqu'il s'agit--la chose n'est pas courante--de la nouvelle edition augmentee d'une these de doctorat publiee une premiere fois en 1990. L'objet est de fournir une histoire de la ville de Bale en un temps de vifs changements a travers l'histoire de ses elites, les acteurs de cette evolution. C'est dire que l'auteur ne s'interesse pas a l'espace urbain en tant que tel, pas plus qu'a la production de l'espace urbain ou qu'au fonctionnement technique, admnistratif de la ville. Le point de depart de la recherche a ete le constat d'une certaine continuite du pouvoir politique a Bale a travers un certain nombre d'etapes majeures de l'histoire du pays: la revolution helvetique (1798), la partition du canton (1833) et la naissance de l'Etat federal en 1848. Autrement dit, l'hypothese n'etait pas denuee de fondements d'interpreter Bale comme un exemple de survivance d'un regime d'ordres, au sens corporatif du terme, lie à la duree exceptionnelle d'une vieille bourgeoisie urbaine. A l'examen, il apparait que jusqu'en 1848, l'elite bourgeoise peut sans autre etre decrite par une approche juridique en termes d'ordres. Ce sont les negociants, fabricants et artisans qui seuls peuvent etre elus aux conseils. Apres 1848, cependant, s'amorce un processus de differenciation socio-economique en termes de classes entre les negociants, industriels et banquiers d'une part et les artisans membres de corporations de l'autre. Des lors, le vieux patriciat d'Ancien Regime peut bien conserver son hegemonie sociale et politique jusqu'en 1914, la ville de Bale n'experimente pas moins le passage d'un regime de notables (Honoratioren-Regime) a un type moderne d'administration communale prestataire de services (Leistungsverwaltung). Depuis 1848, sous le regime du droit de suffrage universel masculin et de la liberte d'etablissement, l'ancien patriciat doit s'efforcer de reconduire sa position dominante en termes de capital economique et culturel et non plus par un privilege automatique fonde sur le droit. Des lors, la tradition de continuite releve plus du domaine symbolique que de la realite socio-economique : il s'agit de comprendre comment un groupe a pu exploiter symboliquement sa position dominante dans un contexte totalement renouvele.
On s'aperçoit alors d'un certain nombre d'ambiguïtes, notamment autour de l'utilisation du terme même de bourgeois (Buerger) qui en allemand renvoie aussi bien a "citoyen" qu'au terme lui aussi ambivalent de "bourgeois" (a la fois habitant des villes au benefice de privileges et appartenant a une classe possedante au sens marxiste du concept). Les elites de la deuxieme moitie du XIXe siecle refusent de lire la societe en termes de classes. Depuis l'etablissement en 1848 de l'egalite formelle entre les citoyens, tous appartiendraient a un societe de citoyens (eine klassenlose Buergergesellschaft). Cette fiction d'une unite de la classe bourgeoise est soigneusememt entretenue, notamment a des fins politiques et s'expriment avec force lors d'evenements marquants, bien etudies par Sarasin dans la derniere partie du livre (notamment a travers deux chapitres nouveaux) qui porte sur les representions.
Mais revenons a la structure du livre. La premiere partie du travail traite des tendances de la demographie, des bases economiques des elites, de leur rapport a la politique urbaine sans omettre de beaux passages plus anthropologique sur les fonctions signifiantes de l'argent dans la societe bourgeoise ou le fonctionnement des reseaux familiaux. L'auteur aurait pu en rester la en ayant demontre amplement les mecanismes economiques et politiques de l'hegemonie d'une categorie sociale delimitee par des criteres sociaux-economiques classiques en histoire sociale. C'est precisement a ce moment de la recherche que commence le travail le plus passionnant par lequel l'auteur reussit une demonstration brillante des mecanismes complexes de la distinciton, de l'appartenance au groupe et des enjeux symboliques du pouvoir, des variations du paraitre dans l'espace prive ou dans l'espace public. La force de ce livre est justement d'avoir reussi a fonder dans l'histoire les concepts les plus seduisants de l'approche anthropologique en construisant des sequences qui les rendent a la fois visibles et operatoires. Plusieurs chapitres rendent compte de la maniere dont les grands bourgeois perçoivent leur appartenance au monde des privilegies. Sarasin sait faire parler admirablement des sources aussi difficiles que les necrologies ou les albums souvenirs où d'aucuns conservent pieusement des photographies mais aussi des cartes d'invitation, des listes de partenaires de bals, des etiquettes de vin etc. Non content de cette restitution microhistorique et biographique des identites patriciennes, Philipp Sarasin s'attache avec bonheur a reconstruire le jeu des identites sans cesse renegociees du groupe dans une troisieme partie de son livre. La crise politique de 1847/48, les celebrations patriotiques plus de cinq siecles apres de l'anniversaire de la bataille de Saint-Jacques, le cinquieme centenaire de la reunion en une seule ville des deux noyaux urbains separes par le cours du Rhin, voila autant d'observatoires privilegies pour comprendre le mode de perception des rapports sociaux et les roles joues par les uns et les autres dans la restauration symbolique de la grande façade unanimiste qu'aime a presenter la "bourgeoisie" de Bale.
Des structures economiques et politiques, a l'histoire des individus et a la construction des groupes, Philippe Sarasin a reussi dans ce livre a surmonter la tension entre les faits sociaux reels et les representations. Jusqu'a present, la plupart des historiens se sont contentes de privilegier l'une de ces approches au detriment de l'autre, ou de pimenter l'etude des "realites" sociales par des references aux "mentalites." Ce livre ouvre donc des voies toutes nouvelles. Sarasin est l'un des premiers a mener aussi loin l'analyse des relations entre les discours et les pratiques sociales. Il reussit a demontrer et pas simplement a evoquer d'un point de vue theorique ce niveau de comprehension qui inscrit les representations au coeur de l'histoire sociale.
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Citation:
Francois Walter. Review of Sarasin, Philipp, Stadt der Bürger: Bürgerliche Macht und städtische Gesellschaft. Basel 1846 - 1914.
H-Urban, H-Net Reviews.
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