Daniele Voldman. La reconstruction des villes francaises de 1940 a 1954: Histoire d'une politique. Paris: l'Harmattan, 1997. 487 pp. ISBN 978-2-7384-5194-1.
Reviewed by Vincent Spenlehauer (Ecole Nationale de Travaux Publics de l'Etat, Vaulx en Velin)
Published on H-Urban (December, 1997)
The reconstruction of french cities 1940-1954. History of a policy
Le livre de Daniele Voldman est une version a peine condensee de sa these de doctorat d'Etat soutenue en fevrier 1995 devant l'Universite de Paris I. Caracterise par un grand souci d'exhaustivite empirique, le livre retrace l'histoire de la definition d'une politique publique nationale de reconstruction physique des villes francaises qui ont ete totalement ou, plus souvent, partiellement detruites au cours de la deuxieme guerre mondiale.
La periode retenue, 1940-1954, circonscrit l'objet etudie dans le livre. 1940 est l'annee des premieres destructions dues en grande partie a l'armee du troisieme Reich, c'est clairement l'annee ou nait le probleme a resoudre par les pouvoir publics. Le choix de l'annee 1954 aurait quant a lui merite d'etre davantage justifie ou, disons, moins dilue dans le corps du texte ou l'on apprend progressivement que cette annee-ci constitue effectivement une charniere temporelle en termes juridiques, administratifs ou physiques. Le livre est divise en trois grandes parties qui correspondent a trois sous-periodes de la periode examinee : Le temps de la guerre au cours de laquelle la politique de reconstruction est decrite dans sa gestation intellectuelle et institutionnelle ; Le temps du provisoire (mai 1945 - novembre 1947) pendant laquelle les grands principes de mise en oeuvre de la politique sont definitivement fixes et commencent a etre experimentes ; Le temps des grands chantiers qui se caracterise par la lente mutation de la politique en une double politique d'urbanisme et d'amenagement du territoire. Chaque chapitre thematique se termine par une etude de cas (d'une douzaine de pages environ) racontant la reconstruction d'une ville ; le lecteur peut ainsi contempler 'comment concretement les choses se passent dans onze villes francaises sinistrees. Au-dela du fait que les choix des villes soumises a examen demeure mysterieux, on peut regretter que cette serie de monographies--extremement 'oxygenantes au demeurant --n'ait pas donne lieu a l'etablissement d'un cadre comparatif qui eut permis une problematisation plus approfondie du propos tenu dans l'ensemble du livre.
Apres un court avant-propos, le livre debute par une description du probleme objectif des destructions immobilieres urbaines occasionnees au cours de la seconde guerre mondiale en France. Compares a ceux relatifs a la premiere guerre mondiale, les degats sont bien plus massifs. D'une part, par dela les progres techniques des armes (aeriennes notamment), la France s'est urbanisee et industrialisee entre les deux guerres et ses villes sont devenues des cibles strategiques extremement prisees dans l'art de faire la guerre. D'autre part, les ravages de la der des ders avaient exclusivement affecte le nord-est du pays, tandis que la derniere guerre s^Òest caracterisee par l'envahissement et la reconquete militaires et violents de l'ensemble du territoire national (a des degres divers certes). L'ampleur et l'accumulation chronologique, geographique et sociale (les sinistres) des degats sont parfaitement explicitees dans le livre a l'aide de cartes et de tableaux-bilans etablis avec precision.
Un des principaux interets que presente le livre de Daniele Voldman est de decortiquer sous ses divers aspects la socialisation politique, institutionnelle ou economique des dommages immobiliers urbains.
Sous l'Occupation d'abord, s'agissant de l'attitude a adopter vis-a-vis du probleme des destructions, les autorites allemandes et francaises ont des interets en apparence divergents. Les premieres non seulement captent pour d'autres usages les materiaux, la main d'oeuvre et le savoir-faire necessaires aux deblaiements et la reconstruction urbaines mais font egalement d'une telle demarche une politique implicite de punition preventive de la population francaise. Tandis que les secondes, sentant que se joue la une partie de leur legitimite, s'evertuent un tant soit peu a faire preuve de diligence dans l'effacement des stigmates materiels de la guerre. En filigrane de cette joute politique, l'administration francaise elabore un systeme sophistique d'evaluation et d'imputation (Allemands, Allies, Resistance, Vichy) des destructions, systeme comptable qui sera utilise dans le cadre des negociations du traite de paix avec l'Allemagne mais aussi, tout simplement, dans le cadre de la gestion de la politique de reconstruction post-1944 (declaration des communes sinistrees, hierarchisation des urgences de reconstruction, choix de demolir ou de reparer, etc.). Par ailleurs, a cause ou, peut-etre meme, grace a la penurie budgetaire, materielle et humaine qui regne, le gouvernement de Vichy s'engage dans une timide politique de logements provisoires qui prefigure a certains egards les differentes experiences d'industrialisation, de standardisation et de viabilisation economique et financiere de la construction de logements sociaux d'apres-guerre.
En matiere institutionnelle, Daniele Voldman montre que les dommages de guerre sont d'une certaine maniere consideres par l'Etat vichyssois et ses acteurs autant comme un probleme que comme une heureuse opportunite de renouveau politico-administratif. Les grandes difficultes financieres et materielles a reconstruire rapidement le patrimoine immobilier ainsi que le caractere antidemocratique de Vichy induisent la mise en place d'un dispositif institutionnel centralise et autoritaire qui pense davantage construction, planification urbaine et amenagement a long terme du territoire national qu'il n'agit directement en faveur de la reconstruction et du relogement des sinistres. Tout le milieu forme principalement d'ingenieurs, d'urbanistes et d'architectes, qui dans l'entre-deux guerre avait conceptualise sans beaucoup de resultats concrets l'amenagement rationnel des villes du pays, pensent enfin voir leur heure arrivee et trouvent effectivement un large echo au sein du gouvernement de Vichy.
La loi du 11 octobre 1940 institue au niveau central de l'Etat le Commissariat technique a la reconstruction immobiliere (CRI). Ce dernier est surtout charge d'elaborer un cadre reglementaire tres strict pour les actions urbaines dans les communes sinistrees, ce qui tranche avec la logique laxiste, genereuse et decentralisee dont etait empreinte l'action publique de reconstruction urbaine qui avait fait suite a la premiere guerre mondiale. Cela dit, bien que les nouvelles orientations donnees a l'administration de l'urbanisme soient claires des le debut de l'Occupation, leur mise en oeuvre tarde neanmoins a se faire. C'est qu'en sus d'une marge d'action de toute facon reduite, la naissance de cette nouvelle administration ne s'ecrit pas sur une page blanche. Bien qu'ils soient legalement depossedes de nombreuses de leurs attributions en matiere d'urbanisme, le ministere de l'Interieur et ses prefets de departement gardent et exercent un pouvoir de veto pour toute decision d'urbanisme dans les communes. Par ailleurs les ^Ñservices ordinaires des Ponts et Chaussees (au niveau des departements) [The Ponts et Chaussees are in charge of roads and the main public works] rechignent a servir d'appui aux fonctionnaires envoyes specialement par le CRI afin de superviser les actions de reconstruction urbaine. Au niveau etatique central, l'institutionnalisation officielle du CRI va de pair avec un manque patent d'autotomie et d'unite institutionnelle et intellectuelle pour celui-ci. L'activite du CRI est en effet tributaire des orientations de differents groupes de pression socioprofessionnels en concurrence les uns avec les autres et surtout de la tres puissante Delegation Generale a l'Equipement National (DGEN) creee par Vichy afin de rationaliser dans les idees et dans les faits l'organisation de la production industrielle nationale, avec la bienveillance des forces d'occupation (l'avenement d'une politique publique industrielle est egalement revele par le remplacement de l'ancien ministere des travaux publics par celui de la production industrielle). Ce n'est qu'en 1943 que l'ordre urbanistique stato-centralise voulu par Vichy prend veritablement forme et se substitue a l'ordre departementalise ou girondin de la Troisieme Republique, et ce pour plusieurs decennies. La loi du 15 juin 1943 institue un code d'urbanisme national extremement contraignant (procedure du permis de construire, par exemple) dont l'application scrupuleuse est confiee a des inspecteurs generaux de l'urbanisme chacun en charge du controle de l'etablissement des Plans de Reconstruction et d'Amenagement a l'interieur d'une circonscription regionale (on compte alors 19 regions).
La creation du Ministere de la Reconstruction et de l'Urbanisme (MRU) en novembre 1944 revele davantage de continuites que de discontinuites entre les politiques respectives de Vichy et du Gouvernement provisoire de la Republique Francaise. Les ministeres des Travaux publics et de l'Interieur se voient refuser la prise en charge de l'effort de reconstruction d'apres-guerre, le CRI et certains services de la DGEN finissant par s'accorder avec succes sur le projet d'un nouveau ministere dont le personnel, malgre la vague d'epuration de l'epoque, est a peu de choses pres identique a celui employe par l'administration de Vichy. Les architectes et urbanistes affectes par Vichy aux villes a reconstruire sont pour la plupart reconduits dans leurs fonctions de planificateurs urbains. La loi de 15 juin 1943 est discretement prorogee (jusqu'en 1954). Au moins jusqu'a la victoire en mai 1945, les carences budgetaires persistent et constituent un important facteur de continuite entre les deux regimes. Le premier ministre de la reconstruction et de l'urbanisme, l'ingenieur des Ponts et Chaussees Raoul Dautry, rompt toutefois avec le mode d'administration vichyssois en concevant un ministere tres centralise (par opposition a l'Etat fort mais relativement deconcentre mis en place par Vichy) et jaloux de ses prerogatives (la delivrance des permis de construire est par exemple enlevee aux prefets au profit des delegues departementaux du MRU appartenant le plus souvent au corps des ingenieurs des Ponts et Chaussees). L'Etat central decide de presque tout sauf des styles architecturaux tacitement laisses a la discretion des spheres politico-administratives locales.
Hormis ce rearrangement organisationnel--que le successeur de Raoul Dautry transformera d'ailleurs en inflexion--les grands principes de la reconstruction nationale edictes pendant les annees d'Occupation sont maintenus ainsi qu'en atteste l'analyse de l'application des reglements de 1944-46 relatifs a l'indemnisation des dommages de guerre. Preuves a l'appui, le livre de Daniel Voldman dement largement le mythe de la reconstruction a l'identique emblematique d'une pretendument inexpiable culture conservatrice francaise. Des 1945, l'imitation, dans certaines villes, des styles architecturaux anterieurs masque le fait que la priorite est donnee a un patient et pugnace effort national de rearrangement rationnel des structures urbaines (remembrement des sols, pratique du zoning, etc.), considere comme mieux adapte au developpement industriel de la nation. De toute facon, les orientations industrialo-productivistes du Commissariat General du Plan [the body in charge of national planning, created after WW2 on the grounds laid by Vichy] ne laissent guere d'autres choix. Par ailleurs, les rivalites (tres bien decrites dans le livre) qui existent entre architectes, urbanistes, ingenieurs et geometres pour le contrôle de la politique du MRU contribuent probablement a faire passer au second plan les besoins sociaux urgents auxquels devrait logiquement repondre cette politique. Enfin, le secteur du batiment (lui aussi tres bien etudie dans le livre), compose en majeure partie d'une immense nuee de petites entreprises artisanales, est difficilement gouvernable ou planifiable dans le sens d'une resolution prioritaire des problemes qualitatifs et quantitatifs du logement qui sevissent a l'epoque, et qui font vite oublier aux francais l'allegresse de la Liberation.
Ceci etant, apres la periode Dautry (novembre 1944 - janvier 1946) fondatrice et structurante pour la suite, les sinistres et les mal-loges (consequence de la quasi-absence de politique du logement avant la guerre, du baby-boom qui debute en 1943, et de l'exode rural corollaire de l'industrialisation a tout crin d'apres-guerre) parviendront progressivement a faire entendre leur voix au sein du MRU grace notamment a certains ministres de la reconstruction tels que le communiste Francois Billoux et surtout Eugene Claudius-Petit dont la longevite ministerielle (septembre 1948 - decembre 1952) tranche avec la celebre instabilite gouvernementale de la Quatrieme Republique. Au demeurant, les fonctionnaires du MRU developpent peu a peu une plus grande sensibilite au probleme urgent du manque de logement car ils y voient en toute logique une opportunite de perenniser leur ministere (au depart prevu pour etre ephemere). A la confluence au sein du MRU d'une politique de reconstruction-modernisation planifiee des villes francaises et d'une politique interventionniste du logement (social), se dessine, des le debut des annees 1950, une politique ambitieuse d'amenagement du territoire : une politique publique civilisationnelle en quelque sorte.
En conclusion, l'ouvrage de Daniele Voldman constitue indeniablement un livre de reference pour qui veut comprendre les origines de l'urbanisme contemporain en France. L'ouverture par l'auteur de multiples dossiers, historiquement epais, sur les problemes, les solutions avancees, les acteurs et les institutions de la reconstruction de la France urbaine, tout cela peut donner au lecteur l'impression d'etre devant un puzzle ; mais les pieces sont la, incontournables dans leur faconnage soigneux.
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Vincent Spenlehauer. Review of Voldman, Daniele, La reconstruction des villes francaises de 1940 a 1954: Histoire d'une politique.
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