
Christophe Prochasson. Paris 1900: Essai d'histoire Culturelle. Paris: Calmann-LÖ©vy, 1999. 348 pp. ISBN 978-2-7021-3023-0.
Reviewed by Helene Harter (Department of History, Universite Paris I-Pantheon-Sorbonne)
Published on H-Urban (March, 2001)
Christophe Prochasson, maitre de conferences a l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Paris), est un des meilleurs specialistes de l'Histoire de la fin du XIXe siecle en France. Il privilegie une approche culturelle et sociologique.
L'ouvrage Paris 1900 : Essai d'histoire culturelle s'inscrit dans cette optique. Il cherche a cerner les images que vehicule la capitale francaise et a repondre a la question : La culture construit-elle l'espace? Le choix de la periode 1890-1900 s'explique par le foisonnement que connait Paris au plan culturel. Plus encore, c'est l'epoque ou se met en place tout un systeme de representations de la ville post-hausmanienne. Paris est alors l'objet de nombreux ecrits et tend a devenir un mythe en soi. Quelles sont les relations entre la ville et sa vie culturelle? Quelles images sont associees a la capitale francaise? Comment se sont-elles construites? Comment sont-elles percues en France et dans le reste du monde? La fin du XIXe siecle correspond aussi a l'epoque ou une culture de masse se developpe, en etroite relation avec le monde urbain. Les elites intellectuelles n'ont plus le monopole de l'espace culturel. Comment font-elles face a ce defi; elles qui consideraient souvent avec hauteur la "culture des pauvres"? En analysant Paris sous l'angle de la culture, Christophe Prochasson nous permet en fait de mieux comprendre l'entree de la capitale francaise dans la modernite.
Dans un premier chapitre, il explique comment se construit le mythe de Paris. En effet, sous l'influence de chroniqueurs comme Charles Simond, mais aussi des guides touristiques, la capitale francaise gagne l'image d'une ville hors norme par rapport aux autres metropoles de la planete ; une cite dont l'esprit, la culture seraient La reference universelle. L'espace de la ville temoigne de cette ideologie. De tres nombreuses statues sont erigees a la fin du XIXe siecle pour commemorer le souvenir des grands hommes des arts et des lettres, alors qu'auparavant un tel honneur etait plutot reserve aux militaires victorieux et aux rois. Paris devient aussi un personnage litteraire en soi. La capitale est ainsi au centre de La Ville de Paul Claudel ou de La Debacle de Zola. De telles oeuvres contribuent a diffuser l'idee d'un exceptionnalisme parisien, en France, mais aussi parmi les etrangers qui s'interessent a la litterature francaise. Les guides touristiques concourent aussi a construire l'image culturelle de Paris. Ils presentent aux touristes les lieux " dignes d'intert " a leurs yeux et occultent les autres. Ils construisent donc pour les etrangers une image de la capitale qui se resume a quelques lieux incontournables comme par exemple l'Academie francaise, le Louvre, le Quartier latin ou encore le theatre du Chatelet.
Le deuxieme chapitre s'interroge sur la pertinence de la notion d'"exceptionnalisme parisien ". Peut-on dire comme le pensent certains qu'il y a " Paris et le reste " du monde? Pour repondre a cette question, C. Prochasson s'interesse en premier lieu aux differentes representations de la domination de la capitale sur la province que vehicule le monde des Lettres. On pense notamment a des ^uvres comme La Vie d'un simple de Emile Guillaumin ou La Dame de chez Maxim's de Feydau. Selon l'idee communement repandue, " Paris dicte a la province ses modes " (p. 79). C. Prochasson nous montre qu'en fait la province resiste a ce dictat. En 1905, l'historien Lucien Febvre acheve sa monographie consacree a la Franche-Comte. A la meme epoque, Frederic Mistral s'impose comme le chantre de la Provence. En France, il y a indeniablement une vie intellectuelle en dehors de Paris, ce qui remet en cause l'idee d'une domination culturelle sans partage de Paris sur la province.
L'idee d'une superiorite parisienne sur le reste du monde en matiere de culture est-elle plus fondee ? Pour repondre a cette question, Christophe Prochasson s'attarde sur l'Exposition universelle de 1900. Ses organisateurs ont voulu faire de Paris la " nouvelle Athenes ", c'est-a-dire le centre de la civilisation. Or, a cette epoque, Vienne et Berlin, sont des rivales serieuses pour la capitale francaise en matiere culturelle. En effet, la capitale de l'empire austro-hongrois s'impose comme un des centres europeens de la modernite grace aux talents d'artistes comme Gustave Klimt. De son cote, Berlin, beneficie de la renommee de son universite. La suprematie culturelle francaise semble mme menacee a Paris. L'actrice italienne Eleonara Duse y rencontre un vif succes, concurrencant sur son propre territoire Sarah Bernhardt, sa rivale. Les elites parisiennes devorent la litterature russe et italienne et se pressent a l'opera Garnier pour decouvrir les nouvelles compositions de Wagner. A travers ces exemples, Christophe Prochasson nous demontre que la domination culturelle de Paris sur le reste du monde releve plus de l'image construite par les essayistes et les chroniqueurs parisiens que de la realite.
Certains Parisiens en ont d'ailleurs conscience a la fin du XIX siecle. Comme nous pouvons le voir dans le troisieme chapitre, certaines d'entre eux n'hesitent pas a parler meme du declin de Paris, et plus largement de celui de la France. C'est notamment le cas de certains membres de la bourgeoisie. Ils critiquent entre autre la multiplication des romans feuilletons. Ces derniers sont publies a la chaine par les journaux pour un lectorat de masse. En fait, la bourgeoisie s'inquiete surtout du fait que la culture ne soit plus l'apanage des seules classes favorisees et qu'elle soit desormais accessible au peuple (notamment grace aux lois Ferry qui favorisent l'acces du plus grand nombre au savoir). Comme le fait remarquer Christophe Prochasson : "Au theatre, on y vient davantage [...] pour afficher un standard de vie que pour jouir d'une pratique" (p. 141).
Si les trois premiers chapitres du livre s'interessent surtout aux images associees a la ville de Paris a la fin du XIXe siecle, les deux derniers cherchent plutot a montrer comment la ville se met en representation. Le quatrieme chapitre se veut ainsi une reflexion sur l'institutionnalisation de la primaute de la culture parisienne en France et dans le monde. Il montre comment les journalistes, les critiques litteraires et les essayistes contribuent a ce processus par le biais des conferences qu'ils organisent et des chroniques qu'ils consacrent regulierement a la vie culturelle parisienne. Ils y presentent notamment les controverses qui agitent les salons de la capitale. L'une des plus importante de l'epoque consiste a se demander qui, de l'auteur de vaudevilles Eugene Labiche ou de l'ecrivain Ernest Renan, a l'esprit le plus brillant. En publiant des articles sur de tels sujets, les revues litteraires ou specialisees dans les sciences humaines, comme La Revue des Deux Mondes ou La Revue de Paris, contribuent a diffuser aupres du public l'idee d'une superiorite intellectuelle parisienne. Elles recoivent pour cela le concours d'auteurs comme Jules Claretie. Chaque annee, ce dernier publie un volume intitule La Vie a Paris. Il se compose des chroniques a la gloire de Paris qu'il a redigees tout au long de l'annee pour la revue Le Temps.
Le cinquieme chapitre s'interesse plus precisement a ces hommes qui comme J. Claretie "font l'opinion et disent le bon got". Paris est en effet la capitale des grands hommes. Ce n'est pas un hasard si on y organise les funerailles nationales de personnalites comme Victor Hugo, Alphonse Daudet ou Louis Pasteur. C'est aussi a Paris qu'^uvrent les critiques litteraires (Sarcey, Ferdinand Brunetiere ou encore Emile Faguet) et les auteurs specialises dans les interviews et les enqutes de societe (comme Jules Huret). Ce sont ces hommes qui forgent les idees d'une opinion publique naissante et jouent un role de mediateurs entre les artistes et le public.
Enfin, le livre se clot sur un epilogue consacre a l'affaire Dreyfus. Ce qui interesse l'auteur ici ce n'est pas la signification politique de cette affaire, mais plutot son environnement spatial. A ses yeux, c'est avant tout un "evenement parisien", le produit d'une certaine culture urbaine, qui s'incarne notamment a travers la figure d'un nouveau venu : l'intellectuel ; c'est-a-dire celui qui a l'image d'Emile Zola prend parti dans les debats de societe et s'engage pour defendre une cause a laquelle il croit.
Pour mener a bien cette tres interessante etude, Christophe Prochasson s'est appuye sur une documentation nombreuse et diversifiee : romans, mais aussi revues litteraires, guides touristique, critiques et chroniques publies a la fin du XIXe siecle. Son appareil critique est riche. Son livre compte pas moins de 27 pages de notes. De larges extraits des sources utilisees sont par ailleurs integres au corps mme du texte, ce qui permet de suivre aisement la demonstration de l'auteur. On notera aussi la valeur de sa bibliographie qui privilegie les ouvrages les plus recents consacres a l'approche culturelle de Paris a la fin du XIXe siecle.
En insistant sur un aspect souvent peu etudie en France, celui des images associees aux villes, le travail de Christophe Prochasson nous permet d'approfondir notre connaissance du phenomene urbain. Reprenant l'expression de Pierre Nora sur les " lieux de memoire ",on peut dire que l'auteur nous permet de percevoir Paris comme un "lieu d'images". On peut regretter neanmoins que la culture de masse ne soit pas abordee en soi, mais simplement par l'apprehension qu'en ont les elites. Cette restriction faite, il est indeniable que ce livre est d'un grand apport pour l'histoire culturelle de Paris. En effet, Christophe Prochasson demontre que, contrairement a l'idee communement repandue, il n'y a pas vers 1900 une suprematie culturelle parisienne absolue sur le reste du monde. Il montre aussi que le statut culturel de la capitale francaise a des consequences lourdes sur son espace et sur l'amenagement de son territoire. Le trace du metropolitain n'a-t-il pas du tre modifie car les membres de l'Academie francaise refusaient que ce dernier circule sous leurs pieds! C. Prochasson insiste aussi dans le premier chapitre sur la geographie des hauts lieux de la culture parisienne et sur la perception de l'espace urbain et de son amenagement que peuvent avoir des penseurs comme Maurice Halbwachs et Henri Hertz. Son ouvrage est tres interessant car, bien que portant sur des questions culturelles, il ne neglige pas pour autant la question de l'inscription de la ville dans l'espace.
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Helene Harter. Review of Prochasson, Christophe, Paris 1900: Essai d'histoire Culturelle.
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