Keith Pezzoli. Human Settlement and Planning for Ecological Sustainability: The Case of Mexico City. Cambridge, Mass. and London, England: MIT Press, 1998. xxi + 437 pp. $40.00 (cloth), ISBN 978-0-262-16173-2.
Reviewed by Alain Musset (Université de Paris X-Nanterre)
Published on H-Urban (March, 1999)
La ville de Mexico est l'objet de tant de fantasmes écologiques et de prophéties apocalyptiques, qu'il est souvent difficile de dégager, dans l'abondante littérature qu'elle suscite, les travaux qui ne sombrent pas dans les lieux communs pessimistes, les écrits catastrophistes ou les imprécations politico-sociologiques. Même s'il choisit son camp et dénonce les incohérences d'une politique environnementale le plus souvent inadaptée aux besoins de ses habitants (particulièrement les plus démunis), l'ouvrage de Keith Pezzoli échappe à ces travers et brosse un tableau à la fois dynamique et stimulant des programmes d'aménagement urbain réalisés dans une ville considérée à juste titre comme un modèle des mégapoles du XXIème siècle. Pourtant, le titre du livre Human settlement and planning for ecological sustainability, the case of Mexico City porte en lui-même les germes de nombreuses controverses : l'habitat, la plannification urbaine, le développement durable sont des thèmes particulièrement sensibles, surtout quand ils sont appliqués à un espace aussi conflictuel que la ville de Mexico. Fondé à la fois sur une grande expérience du terrain et sur l'analyse scrupuleuse de la politique mise en place par le gouvernement mexicain pour tenter de résoudre une crise écologique latente, sur un fond persistant de crise économique et sociale, le travail de Keith Pezzoli dépasse largement le cadre des problèmes du bassin de Mexico pour s'inscrire dans une perspective plus large : l'évolution et l'avenir de ces villes géantes où va se concentrer une part croissante de la population urbaine au cours du siècle prochain. Dans cette perspective, le choix de Mexico est particulièrement judicieux. Mais pour mieux comprendre tous les enjeux des relations Ville/Environnement, Habitat/Ecologie, Pouvoir/Société, Keith Pezzoli a travaillé à différentes échelles, tant spatiales que temporelles. En effet, si les problèmes écologiques de la ville de Mexico sont perçus à l'échelle de la région géographique et du bassin hydrographique (c'est l'ancienne zone des lacs drainés par les Espagnols au cours de l'époque coloniale), ils sont étudiés en détail à l'échelle d'une micro-région située au sud de l'agglomération : la montagne de l'Ajusco. De la même manière, les conflits pour la terre et pour le droit au logement, qui touchent l'ensemble de l'agglomération, sont analysés à partir des communautés de squatters installés dans un espace "protégé", constitué en réserve foncière par le gouvernement afin de conserver une ceinture verte destinée à assurer un minimum de bien-être théorique aux habitants "officiels", "réguliers" ou "légaux" de la capitale. De la même manière, mais sur le plan temporel, l'essentiel de l'étude porte sur la période contemporaine (les années 1980-1990), mais l'auteur replace l'ensemble de son propos dans un cadre historique plus large qui permet de mieux apprécier à la fois l'évolution des espaces étudiés et leur perception par les habitants de Mexico, mais aussi les hésitations et les déboires des politiques urbaines décidées par l'Etat afin de limiter, ou tout au moins de réguler, l'expansion territoriale de la capitale fédérale.
Pour traiter l'ensemble de ces problèmes, Keith Pezzoli les replace dans une première partie générale (Human Settlements and the Question of Sustainability) qui fait le point sur les théories développées par l'ensemble de la communauté scientifique, mais aussi sur les pratiques actuelles et les grands débats de l'aménagement urbain à l'échelle de la planète. Le cas de Mexico est alors replacé dans son contexte international. Cette perspective comparatiste, loin de nuire à la cohérence du propos, permet de démontrer que les difficultés rencontrées par la capitale mexicaine, si elles sont exemplaires, ne sont pas uniques, ce qui rend leur étude d'autant plus intéressante. Pollution atmosphérique, manque d'eau potable, déficit en logements sont des problèmes qui touchent non seulement les villes du Tiers-Monde, mais aussi, et peut-être de plus en plus, les grandes cités des pays riches. La documentation présentée par l'auteur est immense : celui-ci appuie sa démonstration sur de nombreux travaux réalisés par des bureaux d'étude, des universités, des organismes ministériels ou des institutions internationales (UN, World Bank). Si les informations de cette première partie sont pour l'essentiel de seconde main, elles sont présentées de manière claire et pertinente, et tous les étudiants en urbanisme trouveront ici de quoi nourrir leurs réflexions sur le monde urbain.
La deuxième partie de l'ouvrage (The Valley of Mexico : History, Power, and the Environment) s'attache plus particulièrement à comprendre les mécanismes économiques, politiques et culturels qui ont conduit Mexico dans ce qui peut apparaître aujourd'hui comme une impasse politique, sociale et écologique. Sans la remettre explicitement en cause, Keith Pezzoli s'interroge sur l'idée du développement durable et sur les relations Homme/Milieu naturel qui sont au centre de sa problématique. Ses interprétations de la cité préhispanique, considérée avec Luis Vitale (et d'autres encore) comme more ecologicaly sustainablesont cependant discutables. Certes, une ville comme Tenochtitlan ne faisait venir de l'extérieur qu'une faible partie de l'énergie dont elle avait besoin pour assurer son fonctionnement. Certes, les déchets de l'agglomération étaient en grande partie recyclés (c'était le cas des excréments humains, utilisés pour fûmer les champs et accroître les rendements d'une agriculture déjà très performante). Il n'en reste pas moins qu'à l'époque de Moctezuma la capitale aztèque fondait sa prospérité sur l'immense tribut en nature qu'elle prélevait sur les cités soumises à son pouvoir et qu'elle avait dû modifier l'écosystème des lacs sur lesquels elle était bâtie pour se préserver des inondations qui la menaçaient régulièrement. On peut par ailleurs s'interroger sur la validité du concept d'autosuffisance appliqué à des centres urbains dont la l'agriculture n'était pas la principale source de richesse, même si certains ont pu parler, parfois de manière abusive, d'agrarian cities pour caractériser les villes préhispaniques. La partie historique du livre de Keith Pezzoli est à cet égard la plus sujette à discussions (c'est la preuve de son intérêt), même si les analyses proposées reposent sur une longue liste d'auteurs reconnus, liste dont sont exclus, comme trop souvent chez nos collègues anglo-saxons, les chercheurs français ou allemands et même d'illustres Mexicains comme Angel Palerm ou Teresa Rojas (pour ne citer qu'eux). Les chapitres 5 et 6, plus tournés vers le monde contemporain, sont en revanche particulièrement éclairants et stimulants, puisqu'ils montrent comment l'argument écologique a été utilisé par l'Etat pour tenter de freiner l'expansion des périphéries pauvres dans une ville en croissance continue.
Dans ce contexte, la création d'une réserve naturelle sur les flancs de l'Ajusco, officiellement présentée comme une tentative pour résoudre les problèmes écologiques rencontrés par la capitale mexicaine, peut être interprétée de différentes manières. La troisième partie du livre de Keith Pezzoli Mexico City's Contested Ecological Reserve nous fait comprendre tous les enjeux locaux et nationaux de cette décision, grâce à une analyse approfondie des différents acteurs du drame, depuis les familles de squatters établies sur des terrains très convoités jusqu'aux plus hautes sphères de l'Etat, en passant par les fonctionnaires de la CORETT (organisme chargé de régulariser les titres de propriété) ou de la SEDUE (Ministère de l'urbanisme et de l'écologie), les paysans spoliés, les profiteurs du système et les lotisseurs (plus ou moins clandestins). L'étude scientifique d'un cas d'école n'exclut pas ici l'humanité du propos. Sans tomber dans un militantisme de mauvais aloi, Keith Pezzoli réussit à rendre vivante la lutte quotidienne de ces illégaux qui tentent de préserver à la fois leur maigre patrimoine et leur dignité. Depuis le début des années 1980, leur combat est devenu le symbole des tensions qui déchirent la société mexicaine. Dans ce contexte, les maigres apports du Programme National de Solidarité (PRONASOL), lancé à la fin de la décennie pour tenter d'amortir le choc des mesures de restructuration lancées par l'Etat, n'ont pas réussi à combler une fracture sociale rendue encore plus sensible par la crise économique de 1995.
Tout le mérite de Keith Pezzoli est alors de ne pas céder au défaitisme. La quatrième partie de son ouvrage (Toward a Political Ecology of Human Settlement) ne se contente pas de faire le bilan de l'expérience du Belvédère de l'Ajusco. L'étude de solutions alternatives, comme le -Colonia Ecologica Productiva Movement_ montre que, contrairement aux apparences, la situation de l'agglomération mexicaine (et de ses franges les plus déshéritées), n'est pas désespérée. Le titre même de cette partie incite le lecteur à explorer de nouvelles pistes de recherche, mais aussi d'engagement personnel. Alors que les gouvernements tentent d'apporter des solutions ponctuelles à des problèmes bien définis (le logement, le développement économique, la crise écologique), l'auteur préfère, comme les associations de l'Ajusco, envisager le développement urbain dans une perspective globale, afin de répondre à la fois aux nécessités sociales de la population et aux contraintes écologiques du milieu naturel, sans perdre de vue la viabilité économique des projets. L'exemple des CEP (Colonias Ecologicas Productivas), à la fois discutable et discuté, est à son tour replacé dans une perspective comparatiste qui permet à Keith Pezzzoli de justifier son point de vue initial : "Mexico City's problems epitomize many of the Third World's worst urban-ecological ills" (Preface). En ce sens, son livre ne se contente pas de faire le point sur un cas particulier, il donne à ses lecteurs des clés indispensables pour comprendre l'évolution des villes contemporaines, et peut-être une méthode et des outils pour tenter de résoudre une partie de leurs immenses problèmes.
Commissioned for H-Urban by Ronald Young <reyoung@gsvms2.cc.gasou.edu>, Department of History, Georgia Southern University.
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Citation:
Alain Musset. Review of Pezzoli, Keith, Human Settlement and Planning for Ecological Sustainability: The Case of Mexico City.
H-Urban, H-Net Reviews.
March, 1999.
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