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**This AFRICA FORUM is presented by Professor Catherine Coquery- Vidrovitch, l'Universite Paris VII-Denis Diderot. She is the author of numerous books and articles on Africa, including: _Afrique noire: permanences et ruptures_ (Paris, 1993) translation: _Africa: endurance and change south of the Sahara_ (Berkeley, 1988); _Histoire des villes d'Afrique noire des origines a la colonisation_ (Paris, 1993); _Les Africaines: Histoire des femmes d'Afrique Noire du XIX au XX siecle_ (Paris, 1994) translation: _African women : a modern history_ (Boulder, 1997.) This original French version will be followed by an English translation. Replies are welcome in either langauge.**--[P.L.] -------------------------------------------------------------------- Date: 18 Nov. 1998 From: Catherine Coquery-Vidrovitch, Universite Paris VII Denis Diderot <coqueryv@ext.jussieu.fr> AFRICA FORUM : De l'africanisme (vu de France) by Catherine Coquery-Vidrovitch Le chercheur africaniste occidental blanc doit avoir la conscience aigue du fait que, pour les gens du Sud, tout ce qu'il dit ou ecrit peut etre retenu contre lui, et interprete dans un sens negatif. La susceptibilite est extreme. Elle s'explique par l'histoire, par le sentiment tres vif d'avoir ete floue pendant des siecles, et de continuer a l'etre. Cela signifie qu'il faut toujours etre aux aguets sur la "bibliotheque coloniale", et ne pas hesiter a reconnaitre que, plus souvent qu'il n'est raisonnable, les plus attentionnes des chercheurs du nord commettent, a tout le moins, des fautes de gout. Nos partenaires africains sont d'une tres grande politesse, similaire a la courtoisie orientale : jamais on ne dementira; dire non est une grossierete; exprimer son malaise devant une inconvenance est malvenu. Mais que d'imponderables non saisis par l'Occidental presse, trop sur de sa legitimite, porteur de la bonne parole ! Celui-ci provoque par sa morgue, si interiorisee qu'elle en est inconsciente, la vindicte d'une nouvelle generation de chercheurs africains, d'autant plus virulents qu'ils n'ont pas toujours les moyens de leur combat, pour ceux d'entre eux qui n'ont pas eu la chance de sortir de leur pays ou qui l'ont eu trop tard pour combler des lacunes de formation difficilement reversibles : pas assez de lectures, pas assez de savoir, certes, mais aussi beaucoup de rancoeur justifiee; la passion peut l'emporter sur la rigueur, mais c'est revelateur et cela peut etre efficace. Il faut rester tellement modeste devant ce qu'on ne saisit pas bien pour une foule de raisons, parmi lesquels l'heritage culturel de l'observateur demeure pregnant, c'est-a-dire le point de vue dans lequel le placent sa naissance et sa propre histoire. En definitive, si les nouvelles generations africaines, avec l'impetuosite de leurs convictions, proclament haut et fort que les gens du nord ne servent plus a rien, cela peut certes me peiner car chacun a son ego, mais cela signifie seulement que l'histoire est une science sociale qui vit, qui evolue, et qu'un historien, ou une ecole historique a fait son temps. Notre role, en tant qu'historien et que temoin, est de tenir compte de cet "air du temps", de l'analyser, de le comprendre, et de l'integrer a nos propres pensees. N'est-ce pas le propre de l'histoire? Pour un Occidental blanc, ecrire l'histoire de l'Afrique n'est pas neutre. Mais ce n'est plus (comme au temps de la decolonisation et de la desegregation) une urgence politique implacable comme elle le demeure pour les Africains. C'est d'ailleurs pourquoi l'africanisme occidental ne peut plus etre qu'un appoint, meme s'il se proclame essentiel, meme s'il continue de revendiquer une garantie d'erudition qui peut etre, helas, souvent reelle pour une quantite de raisons. En revanche, l'aspect militant est urgent et toujours vivace chez les chercheurs africains. Il l'est aussi, pour des raisons differentes, pour les intellectuels African American. Etant francaise, je ne me risquerai pas a trancher la-desssus. Mais la recherche des racines, et l'amertume legitime des African Americans ne les dote neanmoins pas necessairement d'un "sixieme sens" pour comprendre mieux que d'autres les realites africaines. L'histoire a fait, en effet, que les cultures ont diverge. Il n'en reste pas moins qu'entre Blancs et Noirs git, vis-a-vis de l'apprehension de l'Afrique, une difference inconciliable heritee de l'histoire, qui fait que nous ne sommes pas tout-a-fait sur la meme planete. Que reste-t-il aux militants du Nord desireux d'etre utiles au Sud ? Au-dela d'une action attentive et exigeante sur des problemes immediats de portee a terme gravissime, comme la montee du racisme et de la xenophobie, et la fermeture de nos frontieres a la plupart des gens du Sud, proletaires comme intellectuels, que faire? Il faut d'abord faire le menage chez nous. Expliquer inlassablement a nos compatriotes qu'ils ont la tete farcie de prejuges mortels, que les medias continuent de propager avec une pesanteur desesperante. Le cas recent du Congo en est un exemple patent : aucun media, apparemment, n'a eu l'idee que tout ne se jouait pas au niveau des interventions militaires exterieurs, mais que les Congolais avaient leur mot a dire, fait d'une conscience politique presque totalement passee sous silence. Paulin Hountondji, eminent philosophe beninois, a raison de remarquer que le chercheur africain d'aujourd'hui, sur le plan national ou international, joue un role similaire a celui de l'informateur analphabete de naguere : comme l'interprete avait pour fonction de renseigner l'enqueteur colonial, le chercheur africain, publie ou non, a pour role premier de servir la recherche africaniste; meme personnalises, ses travaux, diriges et donc utilises par un savant du nord, publies par un editeur du nord, contribuent a enrichir les bibliotheques et le savoir du nord. Sur place, le nord n'a reconnu a l'Afrique que le domaine exotique d'une "ethnophilosophie" contre laquelle Hountondji fut le premier a s'insurger. Plus generalement, l'echange inegal existe dans le domaine scientifique comme dans la sphere economique. Non seulement les communautes exterieures veulent ignorer la qualite d'intellectuel des intellectuels africains, mais les societes africaines elles-memes en viennent a reconnaitre difficilement les intellectuels issus de leur sein : d'ou, par exemple, un colloque comme celui des "Intellectuels africains entre savoir(s) et societe(s)", tenu a Ouagadougou en janvier 1998. Il en sera ainsi tant que des centres de recherches autocentres ne se developperont pas prioritairement par et pour le sud. Faute de livres et de bibliotheques, les possibilites offertes par le reseau internet vont jouer un role-cle : les chercheurs africains en sciences sociales ne s'y trompent pas. D'ou l'importance des realisations panafricaines d'information, et l'interet d'un projet comme celui de Hountondji au benin ou de mamadou diawara a Bamako, de fonder en Afrique et pour les Africains un Institut de recherche aussi elitiste en son genre que le Princeton Institute americain : les Africains sont en droit, comme les autres, de revendiquer l'excellence qui ne leur est reconnue par le nord qu'a titre individuel. Mais attention ! qui dit elitisme ne dit pas criteres identiques. Ajoutons a ceci la "bibliotheque coloniale" : le savoir sur l'Afrique a ete solidement construit depuis le debut de la colonisation et a cause d'elle; il a ete elabore la main dans la main avec l'imperialisme colonial. Ce n'est pas un point de vue critique : c'est un fait. Les sciences sociales sont le reflet de leur temps : l'ethnologie et l'ethnographie sont nees de et avec la colonisation, l'anthropologie correspond a la decolonisation, et l'histoire africaine, en l'occur-rence fille des precedentes, est devenue possible avec les independances. Cette histoire, qui a fait feu de tout bois, s'est donc nourrie des productions coloniales anterieures. Celles-ci ont invente des concepts qui empoisonnent encore la vie scientifique, faute d'avoir tous ete revus et amendes, "deconstruits", comme l'on dit aujourd'hui. H- Africa l'a demontre recemment, en rappelant que le Bauman et Westerman, qui nourrit encore implicitement l'apprehension ethnographique de l'ethnicite africaine, resulte d'un travail allemand considerable elabore par Baumann, Westermann and Thurnwald en 1940, c'est-a-dire au moment ou l'Allemagne nazie se preparait a redevenir puissance coloniale. Seulement, il est plus aise de demolir que de reconstruire, et il demeure inutile d'affirmer, quand ce n'est pas le cas, que les preuves apportees, d'un cote comme de l'autre, sont irrefutables. Le cas est patent dans la polemique entre les theses de Martin Bernal, tres attachantes mais pas necessairement toutes convaincantes, et la refutation sans failles qui lui est opposee par les antiquistes classiques. Les deux partis semblent avoir oublie que c'est le doute scientifique qui fait avancer la science, et leur intransigeance reciproque affaiblit leur these au lieu de la soutenir. En tous les cas, le temps est revolu du paternalisme scientifique. La mondialisation du savoir a au moins ceci de bon : les historiens africains ont enfin la possibilite d'y participer. Apprenons a les entendre. Les africanistes n'ont plus un objet d'etude : l'Afrique. Les specialistes de l'Afrique, de quelque bord qu'ils soient, ont un sujet d'etude : les Africains, eux-memes ou les autres. NOTES 1. Sur deux positions antagoniques, voir la remise a jour: Molefi Kete Asante, _The Afrocentric Idea_ (rev. ed.) (Philadelphie: Temple University Press, 1998), et son contrepoint : Stephen Howe, _Afrocentrism. Mythical Pasts and Imagined Homes_ (Londres: Verso,1998). Voir aussi, du romancier kenyan Ngugi wa Thiong'o: _Moving the Centre: the Struggle for Cultural Freedom_ (Londres et Nairobi: James Currey, 1993. 2. Paulin J. Hountondji, _Combats pour le sens. Un itineraire africain_, (Cotonou: Les Editions du Flamboyant, 1997), p. 167. Catherine Coquery-Vidrovitch octobre 1998. P.S. Ce texte est l'abstract d'un article beaucoup plus circonstancie qui doit paraitre dans la revue _Le Debat_ en 1999.
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